L’accessibilité du métro de Sofia source de discordes
En mai dernier, la capitale du pays le plus pauvre de l’Union européenne, la Bulgarie, recevait un trophée du Conseil de l’Europe pour son métro “100 % accessible à tous”. De quoi faire rêver. Sauf que, sur place, les militants des droits des personnes handicapées crient au scandale.
Un après-midi d’août dans le centre de Sofia, Bulgarie. Peter Kichashki, 26 ans, dirige son fauteuil électrique dans l’ascenseur qui descend du boulevard aux entrailles de la station de métro Serdika, une des plus fréquentées de la capitale. Une fois son ticket acheté, il passe sans encombre le large portique spécialement conçu pour les poussettes et fauteuils roulants. Puis il emprunte un autre ascenseur qui l’amène sur un quai spacieux et lumineux. Mais une fois le métro arrivé, impossible d’y monter. « Le sol du train est beaucoup trop haut et trop éloigné du quai, soupire-t-il. Ici, les personnes en fauteuil roulant peuvent descendre jusqu’aux quais mais pas entrer dans les rames. »
Un métro distingué par un Trophée de l’accessibilité
Pourtant, le 19 mai dernier, à Paris, le Conseil de l’Europe a distingué le métro de Sofia pour son « accessibilité par tous les citoyens et usagers sans aucune distinction ou discrimination ». La Municipalité, dont dépend le réseau de transport, a ainsi reçu le Trophée de l’organisation intergouvernementale de défense des droits de l’Homme lors de la remise des Trophées de l’accessibilité organisé par l’association Accès pour tous.
« À partir de 2012, nous avons ajouté des ascenseurs dans les sept stations historiques du métro, qui dataient de la fin des années 1990. Par ailleurs, les 27 nouveaux arrêts construits depuis 2003 en sont équipés, ainsi que d’autres types d’installations facilitant l’accessibilité : plates-formes, tapis roulants, escalators, bandes tactiles pour les personnes malvoyantes », égrène Albena Atanasova, adjointe au maire en charge des activités sociales et de l’inclusion des personnes en situation de handicap et du projet de mise aux normes accessibilité, à qui a été remis le trophée.
Un exemple à suivre selon l’association française Accès pour tous
Pour Xavier Gallin, président d’Accès pour tous, l’association française à l’origine des Trophées de l’accessibilité, le métro de Sofia est ainsi un exemple à suivre pour les autres pays européens : « Aujourd’hui, très peu de réseaux sont entièrement accessibles à tous les arrêts et sur toutes les lignes. Cela montre que rien n’est impossible, notamment en ce qui concerne l’aménagement des stations anciennes qui sont souvent au cœur du problème en termes d’accessibilité, comme à Paris par exemple. »
La mise aux normes des stations anciennes a d’ailleurs été le défi le plus difficile à relever. « Les murs y font un mètre d’épaisseur et sont en béton et en acier. C’est d’ailleurs à cause de ces difficultés techniques qu’il n’y a qu’un seul ascenseur par station dans la plupart d’entre elles », confirme Stoyan Bratoev, directeur exécutif du métro de Sofia. Au total, 157 ascenseurs ont ainsi été construits dans les 34 stations de la ville. « Le plus important est que les gens soient capables de descendre d’un niveau à l’autre. Le métro de Londres est, par exemple, accessible à 20 %, celui de Paris à 15-20 %. À Sofia, il l’est dans 100 % des stations », se félicite-t-il.
Une accessibilité contestée par des associations de personnes handicapées
Mais de leur côté, les militants des droits des personnes handicapées crient au scandale. « C’est complètement faux : le métro de Sofia n’est pas accessible et c’est absolument ridicule qu’il ait reçu ce trophée. Pour beaucoup de stations, en surface, il n’y a pas d’ascenseurs de chaque côté de la rue ou bien ils ne marchent pas. Seules les portions de ligne les plus récentes sont aux normes, et encore heureux », s’insurge Kapka Panaytova, directrice exécutive du Center for independant living (Cil), une association de défense des droits des personnes handicapées dans la capitale. « J’aimerais qu’on m’explique les critères d’attribution du trophée », ajoute Milena Velkovska, jeune femme de 35 ans atteinte d’une paralysie cérébrale lui rendant la marche difficile.
Peter Kichashki ,lui, est catégorique : « Si quelqu’un doit m’aider pour me faire monter dans la rame, on ne peut pas parler d’accessibilité. » Il en est d’ailleurs persuadé : « Le Conseil de l’Europe n’a pas dû se déplacer pour venir visiter le métro et a dû choisi sur dossier. Or, on met ce qu’on veut dans un dossier : quelqu’un a dû mentir à la municipalité. » Pour lui, le Conseil a une responsabilité morale : « Quand elle donne un prix, même symbolique, ce devrait être pour quelque chose de bien. »
Des progrès encouragés selon le Conseil de l’Europe
Pour dénoncer cette situation qu’il juge scandaleuse, Peter Kichashki a adressé une lettre à l’institution strasbourgeoise pour demander les critères d’attribution du prix. À ce jour, elle est restée sans réponse. « Ce prix encourage un progrès important, même si on peut toujours faire plus, convient Gianluca Esposito, chef du service Égalité et Dignité humaine du Conseil de l’Europe. Nous n’avons pas la prétention d’aller dans les 47 États membres pour trouver le meilleur projet en termes d’accessibilité. » Le choix s’est donc fait sur proposition à partir des informations fournies dans les candidatures, trois cette année. « La question n’est pas de savoir si nous sommes devant une institution parfaite en termes d’accessibilité mais, surtout, de voir les progrès qui ont été accomplis. Et dans le cas du métro de Sofia, ils sont considérables », argumente t-il.
De son côté, Albena Atanasova dénonce ceux qui s’obstinent à voir le verre à moitié vide. « De toute façon, à Sofia, la plupart des handicapés en fauteuil roulant ont un assistant personnel », s’agace l’adjointe au maire, qui avoue ne pas utiliser le métro elle-même mais se déplacer en voiture pour gagner du temps.
Une affirmation loin des réalités, s’insurge Peter Kichashki. « Déjà que le métro n’était pas accessible, en plus avec cette distinction du Conseil de l’Europe, c’est comme s’ils nous mettaient leur trophée sous le nez en criant “regardez, nous avons gagné un prix” pour nous provoquer. » Reste que le problème à Sofia est avant tout d’arriver jusqu’aux stations, tant les rues sont abîmées et les trottoirs cassés sans abaissement au niveau des passages piétons. Hélène Bielak et Léonor Lumineau
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4 commentaires
[…] Métro de Sofia : pas aussi accessible qu’on le dit. […]
[…] Article réalisé avec Léonor Lumineau. Paru le 14 septembre 2015 sur le site du magazine Faire Face à retrouver ici. […]
Il va quand même falloir m’expliquer en quoi c’est un progrès digne d’une médaille si on a accès au quai mais pas au métro… C’est aussi idiot que de donner accès à la plateforme d’embarquement mais pas à l’avion… Je ne vois pas bien à quoi ça sert… Le verre n’est pas à moitié vide, il est vide tout court – et décoré pour faire croire qu’il est plein…
Quant à l’argument selon lequel, à Sofia, les personnes handicapées seraient “pour la plupart” accompagnées d’un assistant personnel, ce n’est pas un argument. D’abord, on admet implicitement que certaines n’en ont pas. Et ensuite, à raisonner ainsi, les choses ne risquent pas d’avancer! Si l’accessibilité était meilleure dans cette ville, il n’en serait pas ainsi! Et puis, je me demande quel assistant personnel va être capable de soulever un fauteuil électrique et son occupant pour lui faire monter une marche à l’entrée du métro…
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