Jeunes aidants français : une population ignorée

Publié le 6 octobre 2016 par Aurélia Sevestre
Contrairement au Royaumi-Uni qui en a identifié 400 000, la France ne dispose pas de données statistiques sur les jeunes aidants. © Daniel Paraz

Sur 8,3 millions d’aidants en France, 500 000 auraient moins de 25 ans. Des enfants, des adolescents et des jeunes adultes qui s’occupent au quotidien d’un parent malade ou handicapé. Une situation avec des conséquences sur leur parcours : isolement, harcèlement et échec scolaires, difficultés d’insertion… Pourtant, peu d’initiatives existent pour leur apporter du soutien.

« Fils d’handicapé. » « Va enterrer ton père, tu seras plus tranquille. » Pendant plus de cinq ans, dès la fin de l’école primaire, Steven a subi les insultes, les menaces et même parfois les coups de ses camarades d’école. Il est parvenu à faire trois collèges sans redoubler. Il a fini par décrocher en février 2015, en 2e année de lycée professionnel, pris de véritables crises de panique devant la porte. « J’ai loupé les trois quarts de l’année, 1 300 heures d’absence », résume-t-il.

Une aide allant croissant avec l’âge

Depuis l’âge de 8 ans, Steven s’occupe de son père, atteint de l’ataxie de Friedreich. Le lever le matin, l’aider à s’habiller, lui préparer ses médicaments, son petit-déjeuner, l’accompagner aux toilettes… Les tâches à accomplir, multiples, ont évolué avec le temps. « J’ai toujours connu mon père en fauteuil roulant. Ma mère a toujours fait le maximum mais, avec son travail, ses problèmes de dos se sont aggravés et j’ai aidé de plus en plus en grandissant. »

« Tout ce que j’ai fait, c’est normal. »

Aujourd’hui, à 18 ans, c’est lui qui a parfois mal au dos. Il ne lui viendrait pas à l’idée d’en vouloir à qui que ce soit. « Tout ce que j’ai fait, c’est normal, insiste-t-il. Dans la situation inverse, si j’avais été handicapé, mon père aurait fait la même chose pour moi. » Steven est un jeune aidant familial. Il fait partie de ces enfants, adolescents et jeunes adultes de moins de 25 ans venant en aide à un proche en situation de dépendance, que celui-ci soit malade, handicapé ou âgé, de façon régulière et fréquente.

Cette “charge” quotidienne pèse parfois sur leur vie. Sentiment d’isolement, culpabilité de participer à une activité qui laisserait le proche aidé seul, risque accru de harcèlement, d’échec et de rupture scolaires, difficulté d’insertion professionnelle et sociale… Tous ces effets néfastes – mais également d’autres, parfois positifs – ont été documentés ces quinze dernières années par plusieurs recherches internationales (1).

De jeunes aidants invisibles et silencieux

Au Royaume-Uni, où sont recensés 400 000 jeunes aidants de 5 à 18 ans, on sait ainsi que 13 000 d’entre eux s’occupent d’un proche plus de 50 heures par semaine. La France, elle, ne dispose encore d’aucune donnée sur cette population (2). Seule l’Association française des aidants publie, sur son site internet, un dossier thématique sur ce sujet. Néanmoins, par recoupement des statistiques à l’étranger, et au regard des 8,3 millions d’aidants français, il est possible d’estimer à 500 000 le nombre d’aidants de moins de 25 ans dans l’Hexagone.

Des aidants invisibles. « Lorsque nous sommes alertés, c’est que la situation est catastrophique », confie Bénédicte Kail, conseillère nationale éducation/familles à l’APF. Elle évoque l’histoire de cet adolescent de 16 ans hospitalisé d’urgence en psychiatrie qui a littéralement « décompensé ». Il s’occupait chaque jour de son père et de sa mère, tous les deux atteints d’une sclérose en plaques. C’est une constante chez une majorité d’aidants, même quand ils sont enfants : ils taisent leur situation à l’extérieur.

La peur d’être stigmatisés

Derrière ce silence, la peur de la stigmatisation – bien réelle – à l’école, de l’incompréhension des adultes, voire de l’Aide sociale à l’enfance qui peut décider d’un placement. Difficile, dès lors, de les repérer et, le cas échéant, de les aider. C’est pourtant le travail qu’a entrepris, voilà trois ans, l’association Jade (Jeunes aidants ensemble) en leur proposant des ateliers de ciné-répit (lire encadré).

« L’objectif est de les rendre visibles et de leur donner la parole pour mieux comprendre leurs besoins. En faisant un film dans lequel ils se racontent, ils prennent déjà conscience que ce qu’ils font n’est pas si “normal” », explique Françoise Ellien, directrice du réseau de santé SPES, dans le sud de l’Essonne, à l’initiative de Jade. Ces ateliers permettent aussi à cette psychologue clinicienne de repérer ceux qui seraient en détresse psychologique.

Un besoin de répit, comme les autres aidants

Ce n’est pas toujours le cas. Certains jeunes choisissent aussi volontairement d’aider leur proche. Un renforcement de l’estime de soi, un sentiment de solidarité, un lien fort avec le parent aidé sont quelques-uns des impacts positifs constatés dans ces situations.

Reste que tous ont besoin, comme les aidants adultes, de moments pour souffler. Et vivre leur vie de jeune. « Jade m’a vraiment aidé. J’ai découvert que je n’étais pas seul dans cette situation. C’était comme une libération, témoigne Steven. Il faudrait d’autres lieux comme cela, même ouverts qu’une fois par semaine, pour qu’on puisse se retrouver, rigoler, passer du bon temps, en confiance. » Aurélia Sevestre

Jade, des films dont les jeunes aidants sont les héros

Mettre en scène leur vie, raconter leur histoire en embarquant chez eux une caméra : c’est ce que propose l’association Jade aux jeunes aidants de 8 à 22 ans. Depuis trois ans, ce dispositif initié par le réseau de santé SPES, en collaboration avec la réalisatrice Isabelle Brocard, a accueilli – gratuitement – une quarantaine de jeunes sur le temps des vacances scolaires. Deux semaines, l’une en novembre pour apprendre à tourner les images, l’autre en février pour les monter, dans le domaine de Chamarande (Essonne).

Objectif : leur donner la parole, apprendre d’eux quels sont leurs besoins et faire reconnaître leur rôle dans la société. Les 8-13 ans le font avec un film d’animation, les 14-22 ans à travers un documentaire. Ces séjours cinéma leur offrent aussi un répit dans un environnement où ils se sentent en confiance. C’est d’autant plus important que se raconter en images permet souvent, chez ces jeunes comme dans leur famille, des prises de conscience de ce qu’ils vivent. Et des émotions fortes surgissent ! Françoise Ellien, psychologue clinicienne, est là pour en parler en amont, pendant et après ces séjours cinéma.

(1) Ces études ont permis d’évaluer les situations des jeunes aidants pour leur proposer différents dispositifs de soutien.

(2) Une étude sur les jeunes aidants, réalisée par l’institut de sondages Ipsos et financée par le groupe pharmaceutique Novartis, est toutefois en cours.

 

Comment 2 commentaires

Article bien utile: bien la première fois que je lis du concret sur ces jeunes aidants. On pense aux membres de la famille qui prennent en charge leurs parents vieillis, malades ou handicapés, mais on les devine bien plus âges. Chapeau. Eux aussi méritent formation et répit.

J’ai connu cette situation de 9 à 18 ans et même si cela nous donne une formidable énergie et force de vie et nous amène à des valeurs sûres… du point de vue du droit peut-on prétendre que notre société donne aujourd’hui à tous ces jeunes aidants les moyens d’atteindre leurs objectifs et ambitions professionnelles les plus élevées… Alors que tous s’accordent pour dénoncer le travail des enfants dans des pays moins favorisés ceux là même prennent-ils conscience de ce que cela représente, même si c’est fait dans un climat d’amour filial, de contraintes d’abnégation de soi et de disponibilité, de responsabilité au quotidien pour des jeunes qui sont en pleine construction… Il me semble que cela mériterait d’être médité plus en profondeur et plus axé les projets sur une décharge au quotidien des tâches qui incombent à ces jeunes plutôt qu’un temps de répis au rythme d’un congé….

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