Éric Toledano et Olivier Nakache : « Hors Normes est notre film le plus engagé. »
Le 23 octobre sort Hors Normes, le dernier film d’Éric Toledano et Olivier Nakache. Ce long-métrage évoque avec beaucoup de justesse les parcours d’enfants autistes et de leurs éducateurs. Les deux réalisateurs se sont inspirés du quotidien de deux associations Le Silence des Justes de Stéphane Benhamou (Vincent Cassel dans le film) et Le Relais Ile-de-France de Daoud Tatou (Reda Kateb). Huit ans après Intouchables, ils racontent comment cet immense succès leur a donné une responsabilité pour questionner la place du handicap dans notre société.
Faire-Face.fr : Auriez-vous pu réaliser Hors Normes sans le succès d’Intoucbables ?
Olivier Nakache : Il aurait été bien difficile de convaincre des producteurs avec un tel sujet. Sans Intouchables, il n’y aurait jamais eu Hors Normes. Et sans la rencontre avec Stéphane Benhamou et Daoud Tatou il y a plus de vingt ans, nous n’aurions pas réalisé Intouchables.
Éric Toledano : Nous ne sommes plus les mêmes. Car Intouchables a été un séisme pour nous. À l’origine, nous avons fait un film qui n’était pas censé avoir ce destin. Quand ça vous tombe dessus, vous avez plusieurs choix. Soit vous savourez et partez vivre huit mois de l’année à Ibiza (rires). Soit vous prenez ça comme une responsabilité. Et vous vous demandez ce que vous allez en faire.
Confronter les spectateurs à la réalité de la prise en charge des jeunes autistes
F-F.fr : Avez-vous conscience qu’avec Hors Normes, vous allez plonger les spectateurs dans une réalité, celle du manque de prise en charge des enfants autistes dont la plupart, parce que non concernés par le handicap, n’ont absolument pas connaissance ?
É.T : Dans le film, Joseph (Benjamin Lesieur) tire le signal d’alarme dans le métro. C’était un peu notre but : tirer le signal d’alarme sur une situation que beaucoup de personnes ignorent. Faire du cinéma, c’est emmener les spectateurs avec nous. Nous avons décidé de les confronter à cette réalité avec un chemin qui est le nôtre, nourri de comédie et de beaucoup d’autres choses.
F-F.fr : Beaucoup de personnes en situation de handicap déplorent que les films traitant de handicap n’emploient pas des comédiens handicapés. C’était important pour vous de faire jouer des jeunes autistes ?
É.T : Quand nous avons tourné Intouchables, nous avions choisi François Cluzet pour jouer le rôle principal sans imaginer le succès que que ce film connaîtrait. Mais depuis, nous avons eu le temps de mûrir cette question. C’était quasiment dans l’ADN du projet que Hors Normes intègre des personnes autistes.
Ce film ne parle que d’inclusion, que de gens obsédés par le fait de trouver une place à ces enfants dans des institutions, dans la société. Comment aurions-nous pu procéder autrement ?
Balayer la peur liée au handicap
O.N : Avant même de contacter les acteurs professionnels, nous sommes allés faire des repérages dans des Ésat de région parisienne. Et finalement, nous sommes tombés sur Benjamin Lesieur. C’est une vraie rencontre, quelqu’un qui a pris plaisir à jouer. Ses parents nous avaient dit qu’on ne pouvait pas le toucher, ni le coiffer, ni lui faire porter des lacets ou une cravate.
Et tout ça, au bout de trois jours, c’était terminé. Benjamin a fait des progrès incroyables. Sans doute n’a-t-il pas voulu nous décevoir. Là au moins, l’inclusion était concrète.
F-F.fr : Si aujourd’hui notre société peine tant à être inclusive, ce n’est pas seulement une question d’argent, c’est aussi une question de volonté ?
ON : … et de regard ! Si, dans toutes les classes, il y avait un enfant différent, en situation de handicap, quel qu’il soit, alors les autres enfants auraient plus de chances de devenir des adultes qui ont moins peur, des chefs d’entreprise qui n’hésitent pas embaucher des jeunes en situation de handicap.
É.T : Et puis, il faut éduquer les parents. Un enfant à qui on apprend la différence, c’est un adulte qui deviendra plus ouvert, plus sensible.
Donner une résonance à un sujet de société
F-F.fr : Avec Hors Normes, vous avez envie de faire bouger la société et les pouvoirs publics. Est-ce qu’Intouchables a fait bouger les mentalités vis-à-vis du handicap ?
É.T : Comment le mesurer ? Nous savons juste que beaucoup de gens nous ont écrit pour nous dire ce qu’ils en avaient pensé. Et ce que ça avait changé dans leur vie. Chaque fois que nous allons présenter ce film – comme l’année dernière au centre de médecine physique et de réadaptation Saint-Jacques à Nantes avec Philippe Pozzo di Borgo – nous voyons dans le regard des personnes handicapées quelque chose de bienveillant.
O.N : Hors Normes est clairement notre film le plus engagé. Nous voulions que soit un amplificateur et qu’il puisse peut-être aider à débloquer certaines situations.
F-F.fr : Et après, vous refermez le chapitre handicap ?
O.N : On ne le refermera jamais ! Sans être des porte-parole, nous sommes heureux d’avoir ouvert une voie. Et d’autres films s’en sont emparés comme La Famille Bélier. Nous avons intégré le handicap dans des comédies. L’important, c’est de lever les tabous sur certains sujets.
F-F.fr : Qu’auriez-vous envie de dire aux lecteurs de Faire-faire.fr, eux mêmes en situation de handicap, et à leurs proches ?
É.T : Vous êtes moins seuls. J’espère que nous aurons été à la hauteur de vos combats. Que de temps en temps les spectateurs émus aux larmes à la sortie du film porteront un regard un petit peu plus tolérant.
Par exemple, quand un enfant autiste fera une crise dans un supermarché, dans un parc, dans une patinoire ou dans un lieu public, nous espérons que les gens ne les regarderont pas avec méfiance ou peur. Mais qu’ils se demanderont ce qu’ils peuvent bien faire pour leur venir en aide.
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