Confinement : ces parents séparés de leurs enfants handicapés
Ces enfants en situation de handicap, internes en établissement spécialisé ou dans une famille d’accueil, revenaient habituellement chez leurs parents le week-end. Mais le confinement a mis fin aux retrouvailles ponctuelles. Et garder le contact par téléphone n’est pas toujours possible.
« Chaque jour perdu pèse lourd dans la balance. Parce que je sais bien que mes filles ne deviendront pas centenaires. » Voilà près de six semaines que Nathalie Bouillette n’a pas vu Coraline, 20 ans, et Cyriane, 16 ans, toutes deux polyhandicapées. Avant même le début du confinement, la direction de l’établissement où elles vivent cinq jours sur sept, en Seine-maritime, avait décidé d’isoler ses jeunes résidents.
Prévenus le mercredi 11 mars, les parents ont eu 24 heures pour arbitrer entre deux options : récupérer leurs enfants ou les laisser au sein de l’institut médico-éducatif (IME) sans visite possible. Dans les deux cas, jusqu’à la fin du confinement. Une règle imposée par les pouvoirs publics, dans tous les établissements médico-sociaux de France.
« Je me projette sur des retrouvailles vers la mi-juillet. »
« Cela aurait été au-dessus de mes forces de reprendre à plein temps Caroline et Cyriane, explique Nathalie Bouillette. Je m’en suis occupée au quotidien pendant 16 ans. Cela s’est soldé par un burn-out. » Et puis, à l’IME, leurs vies suivent, plus ou moins, leur cours, comme avant. Seule différence, de taille : elles ne rentrent plus le week-end chez leurs parents. Les seuls contacts se résument à des coups de fils, forcément limités car elles ne parlent quasiment pas.
« Dans ma tête, je me projette sur des retrouvailles vers la mi-juillet pour ne pas être déçue, se rassure Nathalie Bouillette. Car pour mes filles, qui font partie des personnes fragiles, le confinement risque de durer. »
« Cela aurait été le chaos à la maison. »
Juliette Lacronique espère, elle, revoir Émile dès le 11 mai. Autiste, le garçonnet de neuf ans vit depuis un an dans une famille d’accueil, en région parisienne. Il revient habituellement un week-end sur deux, chez lui, auprès de ses parents et de son frère aîné. Mais depuis le début du confinement, il est resté chez « Tata ».
« Chez nous, il enchaîne les crises, ne fait pas ses nuits, n’est pas propre, explique sa mère, fondatrice du réseau social pour parents d’enfants handicapes eNorme. Alors que là-bas, il se comporte tout à fait différemment. Mon mari et moi avons hésité à le reprendre mais on s’est résolu au choix de la raison. Au bout de quelques jours, cela aurait été le chaos à la maison. » Sans issue possible puisque, confinement oblige, sa famille d’accueil n’aurait pas eu le droit de le reprendre.
Depuis, Juliette Lacronique compose avec le sentiment de culpabilité. « Je me demande ce qu’il pense de nous. Nous en veut-il ? » Elle se rassure avec les bonnes nouvelles données par « Tata ».
« Dans quel état vais-je la récupérer ? »
Murielle Barcet n’était pas en capacité physique de reprendre ses jumelles de trente ans, déficientes mentales. Mais elle s’inquiète de leurs conditions de confinement, dans leur Maison d’accueil spécialisée (Mas). Surtout qu’elle n’a pas de lien avec ses filles, incapables de téléphoner.
Comme les autres résidents, elles doivent rester dans leur chambre toute la journée. « Pour Mélissa, ça devrait aller car elle est plutôt casanière. Mais Julie ne tient pas en place. » Les premiers jours, celle-ci a d’ailleurs manifesté son mécontentement en refusant de manger.
Pour alléger son quotidien, sa mère lui a fait parvenir un ordinateur, avec les clips musicaux qu’elle adore. « Mais je ne suis pas sûre que le personnel lui installe tous les jours car l’information passe mal entre les équipes. Ils essaient de faire au mieux mais il y a un gros turn-over. Dans quel état vais-je la récupérer ? »
« Je ne sais pas ce qu’elle aurait préféré. »
C’est ce qui inquiète également Nicole Collot. C’est la première fois qu’elle est séparée aussi longtemps de sa fille, autiste. Claire Anne, 23 ans, revient habituellement tous les week-end de sa Mas, dans la Vienne. « La récupérer aurait été trop lourd. Et à la maison, elle n’aurait plus bénéficié d’aucune prise en charge. »
Juste avant que le confinement démarre, ses parents ont installé Skype sur sa tablette. « Mais cela ne remplace pas la présence physique. » Surtout que Claire Anne ne verbalise pas ce qu’elle ressent.
« Une fois encore, nous avons été contraints de prendre une décision, lourde de conséquences, à sa place. Et je ne sais pas ce qu’elle aurait préféré. » Ce qui est sûr, c’est que ce confinement est « très dur à vivre », pour elle comme pour eux, privés de ces moments partagés. « Je ressens cela comme une injustice. C’est un sacrifice pour le bien d’une société qui ne fait pas grand effort pour les personnes autistes. »
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7 commentaires
Notre fille Elyse 29 ans est en MAS mais rentre tous les we a la maison. Notre décision d’aller la chercher des le 11 mars s’est faite très rapidement. Elle n’aurait pas compris de rester confinée dans sa chambre, quand à nous, nous ne voulions pas vivre des moments de culpabilités, un sentiment d’abandon. Notre fille a besoin de rentrer à la maison pour retrouver des moments d’affection, chaleureux qui helas sont absents en MAS.
bonsoir
votre message m’intéresse car ma soeur est en Mas et ne peut sortir pour l’instant, principe de précaution… nous essayons de voir avec les équipes, direction pour avancer.
ce qui pose problème est certainement son retour !
pouvez-vous m’éclairer sur la procédure proposée dans votre cas ?
merci d’avance
Florence Grimm
Bonjour,
Mon fils est dans un foyer de vie depuis le début du confinement…
Il rentrait tous les quinze jours et pour les vacances .
Il ne comprends pas pourquoi je ne viens pas le récupérer, le foyer m’a fait culpabiliser par rapport aux autres résidents le fait que je voulais le récupérer…
Es ce que le 11 mai, je pourrais le récupérer ???
Personne ne le sait encore.
On peut comprendre les parents qui, pour de légitimes raisons, ont pris la décision de laisser leurs enfants en établissement, mais avaient-ils vraiment le choix ? Mais les autres “enfants “ou “adultes-enfants”, tous les autres, les plus nombreux qui ne sont pas en foyer et naviguent en permanence toute l’année entre établissement et domicile familial et se retrouvent confinés avec papa et/ou maman ? Qu’en ferons-nous à l’issue du confinement ? Devrons-nous les envoyer dans leurs établissements (je pense surtout aux ESAT) où ils courront des risques démultipliés (transports publics, ateliers, réfectoires, lieux de vie communs…) et risqueront chaque jour de contracter la maladie et de la rapporter à la maison et de la transmettre aux seuls soutiens familiaux qu’ils ont ? Nous aurons beau, nous les “vieux aidants familiaux fragiles” (parce que nous sommes parents et serviteurs de nos enfants à vie), essayer de nous isoler un peu et de nous prémunir, nous ne le pourrons pas ! Le droit au confinement dont chaque personne à risque pourra disposer à son aise ne nous sera pas autorisé, qui donc y pense ?
[…] https://www.faire-face.fr/2020/04/16/parents-confinement-separe-enfant-handicap/ […]
Bonjour,
J’ai fait le choix de garder mon fils, autiste et épileptique, âgé de 16 ans, durant cette période de confinement.
Nous avons la chance d’être à la campagne actuellement et de pouvoir profiter d’un bel espace grâce à la proposition d’hébergement faite sans hésitation, par mon ami.
Il s’est d’ailleurs transformé en “AIDANT” car il n’est pas simple malgré cet environnement idyllique de gérer mon fils handicapé à plus de 80%.
Même si je n’avais pas eu la possibilité de quitter la région parisienne et eu l’obligation de rester confinée avec mon enfant dans un espace réduit, en toute consciente des difficultés qui auraient été présentes, je n’aurai pas hésité une seconde à garder mon fils près de moi.
ce n’est pas facile tous les jours, mais je le vois heureux d’être là et bien à sa place dans sa famille de coeur.
Nous attendons pour l’instant la décision de réouverture de son établissement spécialisé.
Cette période est propice à l’évaluation des qualités de coeur et d’ouverture d’esprit de chacun ainsi qu’à ses capacités de résilience.
Je reçois à l’instant le plus beau des sourires, celui de mon fils.