Philippe Pozzo di Borgo : « Le handicap m’a appris à être ouvert aux autres »
Vingt ans après Le Second Souffle qui a inspiré le film Intouchables, Philippe Pozzo di Borgo sort, mercredi 31 août, un nouveau livre, Le Promeneur immobile dans lequel il évoque ses trente ans de tétraplégie. Installé à Essaouira au Maroc, avec sa famille, le septuagénaire se rend régulièrement au CHU Saint-Jacques à Nantes. C’est là qu’il a reçu Faire-face.fr pour parler des sujets qui lui tiennent à cœur comme la reconnaissance des plus fragiles.
Faire-face.fr : Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce nouveau livre,
Le Promeneur immobile ?
Philippe Pozzo di Borgo : Faire le point sur toutes ces années d’invalidité. Cela va faire trente ans que je suis tétraplégique. Et puis, c’était aussi une façon de répondre à toutes les personnes qui m’ont écrit depuis la sortie d’Intouchables. J’ai reçu des milliers de messages, souvent très douloureux. J’ai répondu à la plupart mais je crois que certaines personnes m’ont pris pour un gourou que je ne suis pas ! D’une certaine façon, ce livre constitue une réponse à toutes ces sollicitations, tout ce désarroi dont j’ai pris conscience mais auquel je n’avais pas de réponse à apporter. J’espère qu’il soulagera un peu celles et ceux qui le liront.
Avant, je croisais les gens, je ne les rencontrais jamais. »
F-F.fr : Vous écrivez « le handicap m’a guéri des complications, des rendez-vous manqués. Ce que j’appelle la “guérison”, c’est l’indicible soulagement d’être bien dans sa peau. » Que voulez-vous dire ?
P.P.d.B : Avant mon accident, j’étais un homme très actif, soucieux de sa réussite, qui faisait tout vite, qui passait sans doute à côté de sa vie. Je n’avais jamais le temps. Le handicap m’a appris à écouter, à être ouvert aux autres. Il m’a aussi appris la patience, à être dans l’instant présent. C’est le seul moment propice à la relation. Avant, je croisais les gens, je ne les rencontrais jamais.
F-F.fr : Vous vous considérez comme un handicapé privilégié parce que vous bénéficiez d’un confort matériel. Malgré tout, vous avez connu la solitude…
P.P.d.B : C’est vrai que j’ai toujours été gâté. Mais comme beaucoup de personnes touchées par un accident de la vie, j’ai traversé des moments douloureux. Oui, le handicap exclut, fait peur, parce que chacun voit dans la personne handicapée la fragilité qui le menace aussi.
L’amour, la présence des femmes m’ont toujours porté. »
F-F.fr : Vous devez à votre épouse Khadija votre « renaissance ». C’est l’amour qui vous a maintenu en vie ?
P.P.d.B : L’amour, la tendresse, la présence des femmes m’ont toujours porté. Béatrice, ma première épouse, même très malade, m’a remis sur pied. Quand il vous arrive ce que j’ai vécu, vous n’avez qu’une seule envie : couper les ponts, vous replier sur vous-même. Comme je l’écris dans le livre : « Aimer Khadija et me savoir aimé d’elle m’ont permis de retrouver le goût de l’autre. Le goût d’être. »
F-F.fr : Vous avez pris position publiquement contre le « droit à mourir dignement ». Vous y revenez dans le livre dans un chapitre intitulé Ce qu’on appelle dignité. Pourquoi ?
P.P.d.B : Après mon accident, quand je ne voyais pas de sens à cette vie de souffrance et d’immobilité, je pense que j’aurais exigé l’euthanasie si on me l’avait proposée. La détresse profonde dans laquelle se trouvent certaines personnes ne demande pas d’être interrompue, mais d’être soulagée, accompagnée.
F-F.fr : À l’exception de l’euthanasie, ce n’est pas un livre où vous interpellez les politiques sur ce qu’il faudrait améliorer dans notre société pour faciliter la vie des personnes en situation de handicap. Pourquoi cette réserve ?
P.P.d.B : C’est davantage un livre de réflexions. Même si j’aspire à une société plus fraternelle, notamment à l’égard des plus fragiles, dans ce contexte post-pandémie, je ne suis pas dans la revendication. Malgré tout, je suis tourné vers les autres. Par exemple, je suis fier d’être le président d’honneur de l’association Simon de Cyrène depuis plus de vingt ans. J’apprécie son engagement à l’égard des plus fragiles
F-F.fr : Dans votre livre, vous nous donnez aussi des nouvelles d’Abdel, votre auxiliaire de vie. Regrettez-vous de ne plus avoir de contact avec lui ?
P.P.d.B : Je pense souvent à lui et m’inquiète de ce qu’il est devenu. Nous sommes très liés. S’il n’était pas entré dans ma vie, aujourd’hui je ne serais plus là. Mais je connais son côté tête brûlée. J’ai épuisé tous les moyens dont je disposais de savoir ce qu’il devenait. Un jour, peut-être refera-t-il surface…
F-F.fr : Vous faites régulièrement des séjours au pôle de médecine physique et de réadaptation du CHU Saint-Jacques à Nantes pour des bilans de santé. Comment vous sentez-vous ?
P.P.d.B : Comme beaucoup de personnes en situation de handicap, je souffre de douleurs neurologiques que peu de traitements parviennent à soulager. J’éprouve aussi une grande fatigue, sans doute liée à l’avancée en âge. Dans ce centre, je me sens presque chez moi. La femme qui le dirige, le Pr Brigitte Perrouin-Verbe, elle-même en situation de handicap, est remarquable.
Ce qui me motive, c’est d’être pleinement présent dans mon existence et de la partager dans le respect des autres. »
F-F.fr : Le handicap est souvent synonyme de dépendance. Vous louez cette dépendance que nous avons à l’autre. « Nous ne vivons que par l’autre. C’est lui qui nous confirme dans notre existence », écrivez-vous. Est-ce là le grand enseignement de ces années de tétraplégie ?
P.P.d.B : Dans la situation qui est la mienne, je ne peux vivre sans assistance. Je pourrais le vivre comme un échec, mais c’est tout le contraire. Après trente ans de fragilité et de souffrance, ce qui me motive, c’est d’être pleinement présent dans mon existence et de la partager dans le respect des autres.
F-F.fr : Vous évoquez ce que votre fille Wijdane a nommé « la pause Pozzo ». En quoi cela consiste-t-il ?
P.P.d.B : Faire silence un moment dans sa journée. Écouter sa voix intérieure. Accepter de s’abandonner. Être un promeneur immobile.
Extrait
« Il me faudra du temps, pour revenir à la surface, et pas seulement. Il me faudra aussi l’inlassable attention des miens. Celle des proches. Celle des soignants. Et celle d’Abdel. Il faudra aussi que j’admette une réalité et que je m’y adapte : même très entouré, même choyé et soigné par des personnes qui m’aiment, que ça me plaise ou pas, la solitude est là pour rester. Elle s’est invitée dans mon existence, je dois apprendre à la connaître, et cela commence par accepter son statut de “meilleure ennemie”. »
Le Promeneur immobile, Philippe Pozzo di Borgo (avec Geneviève Jurgensen), éd. Albin Michel, 176 p., 14,90 €.
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