Handicap : looké jusqu’au fauteuil
Des modèles high-tech et design arrivent sur le marché, affichant un look futuriste, une esthétique de mobilier haut de gamme ou encore des décorations empruntées au street art. De quoi se sentir mieux dans son fauteuil roulant. Comme les lunettes, cet outil de compensation du handicap peut contribuer, de plus, à rendre ses utilisateurs davantage “tendance”.
Et si le fauteuil roulant du futur devenait de plus en plus esthétique ? « Pour être bien dans sa peau, il faut d’abord être bien dans son fauteuil. Et lorsqu’on est soi-même convaincu que son fauteuil est beau, ça aide », tel est le credo de Paul de Livron. Ce jeune ingénieur paraplégique de 31 ans a créé un fauteuil roulant en bois, aux allures de mobilier haut de gamme.
L’originalité du design repose sur une technique inspirée de l’impression 3D. Pour faire court, on vient ici coller des morceaux de bois superposés, couche par couche, plutôt que de fabriquer le châssis en soudant des tubes métalliques qui formeront les arrêtes du fauteuil roulant, comme aujourd’hui. « Cette technique libère le design et produit des formes qu’on ne peut pas réaliser avec les méthodes habituelles », assure l’ingénieur francilien.
Un fauteuil en bois pour le pape
De quoi s’autoriser à rêver de design plus audacieux. Pour l’illustrer, Paul de Livron a décidé de frapper un grand coup médiatique en livrant… le pape François. « Lors d’une visite à Rome, je lui ai demandé : acceptez-vous d’être le parrain de mon projet en recevant votre propre modèle ? Et il a dit oui », raconte Paul de Livron. Quelques mois plus tard, lors de la visite du Saint-Père à Marseille, en septembre dernier, il lui remet officiellement ce fauteuil atypique.
Sa forme ? Un modèle doté d’un dossier qui monte jusqu’à la tête et équipé d’un coussin, en plus de celui de l’assise. Pour le symbole, son créateur y a en outre intégré de longs accoudoirs taillés dans du bois issu des restes de la charpente de la cathédrale de Notre-Dame de Paris, suite à l’incendie de 2019. L’ingénieur ayant pris attache avec l’archevêque de Paris.
Depuis qu’il a débuté le “projet Apollo” en 2022, Paul de Livron a déjà réalisé deux prototypes, dont un qu’il utilise actuellement. En phase de recherche et développement, le projet vise in fine à passer la main à un industriel en le convainquant de produire des modèles en série à prix abordable.
Éviter d’être stigmatisés
Les créations possibles sont légion. « Pourquoi ne pas inventer un jour des modèles pour enfants en forme de petites voitures ou inspirés de personnages de jeux vidéo, comme Pikachu(1) ? », imagine Paul de Livron. Car le catalogue de fauteuils roulants existants reste limité. « Si l’on compare avec les chaussures, c’est comme s’il y avait uniquement des sneakers sur le marché. Et pas de modèles élégants, type Richelieu, pour mettre avec un costume. »
Un moyen de donner une image plus sexy des personnes en fauteuil ? « Exactement, conclut Paul de Livron. Même si c’est paradoxal de transformer un outil de compensation du handicap en accessoire de mode… Mais c’est un peu ce qu’on a fait avec les lunettes. »
Loin d’être anecdotique, l’initiative fait écho à une foule d’innovations actuelles visant à sortir du design médical pour éviter le regard stigmatisant des personnes valides, voire celui des utilisateurs eux-mêmes. Comme, par exemple, le site français floteuil.com, qui distribue des stickers pour décorer son fauteuil avec des créations artistiques tirées du street art, des mangas ou de l’esthétique cyberpunk.
Faciliter l’acceptation du fauteuil
L’idée est aussi de faciliter l’acceptation du fauteuil roulant. Comme ce fut le cas pour Helen David, qui vient d’opter pour un fauteuil électrique Whill C2(2), un modèle japonais high-tech à l’esthétique futuriste. Au point qu’il tend à se noyer dans la masse des véhicules électriques : vélos, trottinettes, gyropodes… « On le compare souvent à celui du professeur Xavier de la saga X-Men. Quand des enfants curieux m’interpellent, je leur dis que j’ai des super-pouvoirs », sourit la jeune Nantaise.
Originalité, ses roues “omnidirectionnelles” sont capables de tourner latéralement tout en restant droites, pour réaliser un tour parfait sur soi “façon moonwalk(3)”. De plus, il se démonte en quelques instants pour intégrer un petit coffre de voiture.
« Je ne veux pas laisser le handicap prendre trop de place dans ma vie. J’avais donc du mal à me faire à l’idée d’un fauteuil électrique. Pour moi ça ressemblait plutôt à un tank, derrière lequel la personne disparaît. J’avais peur que ça crée de la distance avec les autres, que ça change le regard de mes collègues », confie la jeune femme de 37 ans, cheffe de projet RH pour La Banque postale.
Ce qui l’a séduite ? L’ouverture du fauteuil – avec ses accoudoirs ajourés notamment – qui « ne cache pas le corps ». « Je peux être coquette dedans, ça passe bien », se réjouit-elle. Rien de massif non plus. « La première réaction de ma famille a été de dire : “Mais il est minuscule !” »
Davantage de liberté
Atteinte d’une paralysie cérébrale, Helen se sentait freinée dans ses déplacements avec son fauteuil manuel qu’elle utilisait jusqu’ici. « À cause de mon manque d’endurance, je me suis rendu compte que je limitais mes sorties, alors que je suis quelqu’un de très sociable. Aujourd’hui, je me sens plus libre. Mon périmètre de déplacement en ville a triplé. Récemment, j’ai parcouru 19 kilomètres en un week-end, avec environ une moitié de batterie. Je suis passée par des rues pavées ou en côte que je n’avais jamais empruntées à Nantes, détaille l’intéressée. Cela m’enlève beaucoup de charge mentale. Plus besoin de demander de l’aide pour me pousser, de dépendre des horaires des navettes de transport adapté… »
Un design et une technologie qui font la différence. Aurait-elle basculé sur un fauteuil électrique classique ? Helen David répond non. Sans aucune hésitation.
(1) Petit personnage joufflu des jeux vidéo Pokémon.
(2) 6 200 € (prix public conseillé).
(3) Mouvement de danse : rétro-glissade.
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Cet article est paru dans le magazine Faire Face de novembre-décembre 2023. Droits, démarches administratives, santé, aides techniques, vie sociale, du côté des livres… : tous les deux mois, le magazine vous apporte informations pratiques, conseils, contacts et astuces indispensables à votre vie quotidienne.
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