Matthieu Lartot, journaliste sportif à France Télévisions : « L’amputation ? Une libération »
Après une longue absence, Matthieu Lartot anime de nouveau le magazine Stade 2. Le 16 juin, il a été amputé de sa jambe droite, à la suite d’une récidive d’un cancer au genou. Une décision qui lui offre une mobilité supérieure à celle qu’il connaissait depuis vingt-six ans.
Faire-face.fr : Quand le médecin vous annonce la récidive du cancer, c’est vous qui prononcez en premier le mot d’amputation. C’était une évidence qu’il fallait en passer par là ?
Matthieu Lartot : J’étais déjà un peu préparé dans ma tête car ma jambe était en mauvais état. Même sans la découverte de cette nouvelle tumeur, il aurait fallu de toutes façons que je me fasse amputer un jour ou l’autre. Je n’aurais pas pu avoir une autre prothèse de genou. Il n’y avait donc pas de doute sur l’issue. La chirurgienne était embarrassée à l’idée de m’annoncer deux mauvaises nouvelles, coup sur coup. Je voyais qu’elle hésitait. Alors, je l’ai devancée.
F-f.fr : Envisager cette éventualité a-t-il atténué la violence de cette annonce ?
M. L : Ayant vécu plus de vingt ans avec une jambe raide, j’avais déjà accompli le chemin mental. Je me disais que peut-être je vivrais mieux sans. J’étais déjà dans l’acceptation. Et puis, il y avait surtout l’enjeu de la maladie. Je savais très bien que pour me donner toutes les chances de m’en sortir et d’éradiquer ce sarcome, il fallait enlever la jambe. C’était aussi assez clair pour mon épouse. Cette décision ne nous a pas anéantis.
Une marge de progression encore importante
F-f.fr : Vous avez d’abord été traité contre la tumeur, puis amputé de votre jambe. Comment les choses se sont-elles enchaînées ?
M. L : D’avril à juin, j’ai eu la chimiothérapie. L’amputation a eu lieu le 16 juin. Ensuite, je suis allé en centre de rééducation. J’avais déjà expérimenté exactement le même protocole 26 ans plus tôt, donc je savais pertinemment à quoi m’attendre. Le plus gros défi pour moi était la partie rééducation, totalement inédite pour moi.
Les prothésistes, les médecins n’étaient pas ultra optimistes sur mes capacités à pouvoir être appareillé convenablement pour retrouver une bonne marche »
F-f.fr : Où résidait l’enjeu majeur ?
M. L : Dans l’appareillage. En effet, je suis dans une configuration particulière, amputé très haut, au-delà de mi-cuisse. Il me reste 14 centimètres de jambe. Les prothésistes, les médecins n’étaient pas ultra optimistes sur mes capacités à pouvoir être appareillé convenablement pour retrouver une bonne marche. Sauf que j’étais déterminé à leur montrer que c’était possible. Ma marge de progression est encore importante. Au quotidien, à force d’être confronté à des situations différentes, je vais devoir m’adapter. On considère qu’au bout d’un an et demi, voire deux ans, on arrive à quelque chose de définitif en termes d’adaptation et de marche.
Prendre soin de son moignon
F-f.fr : Comment vivez-vous avec votre prothèse ? La portez-vous le plus possible ?
M. L : C’est très variable. Les journées où je travaille, je la porte du matin au soir sans discontinuer. Quand je suis chez moi, je la mets un peu moins. Mais c’est aussi bien… Car dans la vie d’une personne amputée, l’une des grandes préoccupations est de prendre soin de son moignon. Tout repose sur lui. Le moindre problème de peau, d’irritation me mettrait à l’arrêt. Donc, il y a une utilité à faire respirer le moignon et à ne pas mettre la prothèse toute la journée. Je ressens une forme de décompression, de soulagement à me mouvoir autrement.
F-f.fr : Vous vous aidez encore d’une canne ou vous arrivez à marcher sans ?
M. L : Je prends la canne, parce que ça me tranquillise. Et puis, c’est extrêmement énergivore de marcher avec une prothèse. D’autant plus avec la longueur de mon moignon. Sans canne, ce serait trop compliqué d’assumer une journée en extérieur. En fait, il vaut mieux avoir une bonne marche fluide avec une canne qu’une marche où s’installe une forme de boiterie dont il peut être difficile de se défaire.
Assumer le “côté bionique” de la personne amputée
F-f.fr : De plus en plus de personnes assument leur prothèse. Vous semblez faire partie de ceux qui ne se cachent pas ?
M. L : Il n’y a pas de démarche militante de ma part. En revanche, si je veux vivre en assumant pleinement ce handicap, je ne peux pas me cacher. Très longtemps avec une jambe raide, le regard des autres était déjà sur moi. Quand j’arrivais dans un stade de rugby pour commenter un match, les gens voyaient bien que j’avais un handicap invisible. Donc j’avais déjà cheminé par rapport à l’acceptation de mon handicap. J’ai tout de suite assumé ce “côté bionique” de la personne amputée. Et puis, si on veut parler d’inclusion dans notre société, il faut que les autres acceptent la différence.
F-f.fr : Vous avez déjà pris la parole sur les tarifs des prothèses. Les disparités très importantes dans la prise en charge vous ont choqué ?
M. L : Oui, j’ai constaté que selon la cause de l’amputation, maladie ou accident par exemple, on ne nous donne pas la même chance dans la prise en charge financière de notre appareillage. Moi, j’ai la chance d’être bien intégré dans la société, d’avoir un métier, d’être entouré. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.
Au centre de rééducation, j’ai côtoyé des personnes dans des situations parfois très compliquées. Il y a beaucoup de progrès à faire en matière d’inclusion et d’accessibilité. Si je peux prendre la parole sur ces sujets-là, je ne m’en prive pas.
F-f.fr : Avez-vous envie de vous engager davantage pour porter la voix des personnes en situation de handicap ?
M. L : Ces derniers mois, j’ai pris conscience que j’avais un rôle à jouer parce qu’il y a énormément de gens qui m’ont écrit, qui me sollicitent, qui me poussent. Une fois que j’aurais recouvré à peu près mes capacités, pouvoir m’investir dans une association fait partie évidemment de mes projets.
Mieux vivre après l’amputation
F-f.fr : Cette amputation vous offre-t-elle comme une sorte de deuxième vie ?
M. L : C’est plutôt une libération. Je vais accéder à une mobilité bien supérieure à celle que j’ai pu connaître. Aujourd’hui, je peux monter à l’arrière d’une voiture. Quand je m’assieds au restaurant ou à la cantine face aux personnes qui mangent avec moi, je n’ai pas ma jambe qui traîne. J’ai pris conscience que je pourrais peut-être mieux vivre après l’amputation.
Plus que de performance sportive, ce dont j’ai besoin aujourd’hui, c’est de profiter d’activités dont j’ai été privé en tant que père. »
F-f.fr : Parmi vos projets, il y a aussi l’opportunité de pouvoir refaire du sport. Vers quoi allez-vous vous tourner ?
M. L : Je pourrais, si je le souhaite, pratiquer le tennis-fauteuil, le basket-fauteuil. Beaucoup de sports m’attirent. Mais la priorité est de partager avec mes enfants ce que je n’ai jamais pu faire avec eux. Une balade à vélo, skier… Plus que de performance sportive, ce dont j’ai besoin aujourd’hui, c’est de profiter d’activités dont j’ai été privé en tant que père.
Amputation : faire corps avec soi
En Une du magazine Faire Face de novembre-décembre 2023 : un dossier consacré à l’amputation. De l’opération à la réappropriation d’un corps qui a changé, le parcours est balisé d’étapes importantes. Préparation de l’intervention chirurgicale, choix d’utiliser une prothèse… ou non, adoption d’une bonne hygiène de vie, recherche de solutions pour apaiser les douleurs, financements possibles pour compenser son handicap et restauration de l’estime de soi.
Un dossier pratique, accompagné de témoignages et de contacts utiles.
Vos avantages :
- Magazine téléchargeable en ligne tous les 2 mois (format PDF)
- Accès à tous les articles du site internet
- Guides pratiques à télécharger
- 2 ans d’archives consultables en ligne
7 commentaires
Un grand Monsieur, Matthieu Lartot ! Un exemple pour beaucoup, valides ou non, en termes de combativité, d’optimisme, d’acceptation, de résilience et de dépassement de soi. BRAVO MONSIEUR !!!
Tout mon respect et mon admiration à Mathieu, qu’on regarde tous les dimanches soir et qu’on adore aux commentaires de matchs de rugby. Nous croisons les doigts pour que ses souhaits de sport en famille se déroulent très vite et le remplissent de joie. Il parle posément, calmement, de son opération, et amputation puis prothèse… Quand on connait le monde du handicap, … on sait bien qu’il a dû traverser des moments hyper compliqués et bien douloureux, terribles..(mon fils est tétraplégique après un drame..il y a 27 ans.. et bien des périodes ont été douloureusement difficiles) Le public lambda s’en rend il bien compte ??? Bien sûr, s’il souffre moins qu’avant avec sa jambe raide, …c’est tout bénéf’…mais !! il fallait quand même positiver un max ! Je l’embrasse très fort et lui souhaite le meilleur !
Bravo à Matthieu pour son cheminement…
Je fais du vélo/tandem avec un jeune ami en situation d’handicap à plus de 80 pourcent(Il est en position couché à l’avant de son vélo). On roule régulièrement même l’hiver car il est toujours “prêt” pour une sortie. C’est un vrai plaisir pour lui comme pour moi. En fait, son handicap, bien sûr lui fait perdre beaucoup d’autonomie mais en contre-partie, c’est beaucoup plus de partage, plus d’émotions et plus de plaisir.
On peut voir la situation de l’handicap de différentes manières…
Bonjour Matthieu,Je me permets de vous écrire ce message pour essayer de donner un coup de main à une grande championne handisport , championne olympique à Pékin en 2022(médaille d’or)qui avait un partenariat avec Harmonie Mutuelle qui vient de la lâcher sans coup férie alors qu’elle’ prépare les championnat du monde! Coup de massue pour elle Un coup de projecteur mériterait amplement un petit moment dans stade deux!!Dans l’attente et merci pour une réponse qu”elle qu’elle soit. Philippe.jiner60@gmail.com
Bonjour Mathieu
Je viens de finir ton livre « on n’ampute pas le cœur » !!
Très émouvant témoignage et « chapeau « pour toutes ces années difficiles passées
Hier soir, je t’ai vu à la Télé sur la 3 commenter les JO 2024… quelle joie !! Raison pour laquelle je voulais te transmettre mes meilleures pensées car j’ai 82 ans, j’adore le rugby, et très fan avec ma famille, et tu pourrais être mon fils…
Porte toi bien et « bon vent »….
Je te dis chapeau bas pour ton courage et la façon de parler de tes enfants et de tout ton entourage tu es un exemple pour toutes les personnes qui veulent sortir de toutes leurs angoisses et déprimes du à leurs handicaps tu restes pour moi un vrai mec et un grand journaliste sportif je t’adore
Chapeau bas Matthieu
Je suis amputée femorale depuis 57 ans. Oui j’avais 20 ans quand un 40 tonnes à bouleversé m’a vie. J’ai aujourd’hui 77 ans. J’ai vécu presque comme tout le monde à part courir. J’ai refais du ski.
Mon mari m’a épousée avec mon handicap. J’ai eu un fils. J’ai travaillé jusqu’à 62 ans. Une vie normale.
J’ai connu toutes les améliorations des prothèses.
Je me reconnais en vous . Pugnacité, résilience . Ne changez rien Mathieu .
Carpe dieu.
Je me permets de vous embrasser