Quand un professeur affirme qu’un élève handicapé « n’a pas sa place » au collège
L’Éducation nationale avait sanctionné un professeur pour avoir écrit à la maman d’un enfant handicapé que son fils n’avait « pas sa place » dans l’école ordinaire. Le tribunal administratif vient d’annuler cet avertissement, provoquant la colère d’associations de personnes handicapées.
Ces propos d’un enseignant sur un de ses élèves, handicapé, valaient-ils une sanction ? « Votre fils a des difficultés pour suivre mes cours qui s’adressent à des élèves sans handicap. Je considère que votre enfant, du fait de son handicap, n’a pas sa place dans un système ordinaire qui ne lui permet pas de progresser (…). Le collège ne peut répondre à vos attentes et il vous convient de chercher une structure mieux adaptée aux difficultés de votre enfant. »
Un échange sur Pronote entre le professeur et la mère de l’enfant
C.B, un professeur d’histoire-géographie au collège Saint-Prix, dans le Val d’Oise, a adressé ces quelques phrases à la maman de cet élève. Via Pronote, un outil de communication entre l’établissement et les familles. Les profs peuvent, notamment, y échanger avec les parents, en privé. Ce qu’a donc fait C.B le 3 mars 2021, en ces termes. Au grand dam de la mère de l’enfant.
Un avertissement pour manquement aux obligations de réserve et de dignité
Un an plus tard, la sanction tombe : un avertissement pour manquement aux obligations de réserve et de dignité, infligé par la rectrice de l’académie de Versailles. Dans la foulée, C.B saisit le tribunal administratif de Cergy-Pontoise pour demander son annulation.
Et ce dernier lui a donné raison, le 9 novembre. Certes, reconnaît la juge, il a exprimé « maladroitement son opinion d’enseignant au regard de l’opportunité de scolariser certains enfants en situation de handicap dans le milieu scolaire ordinaire ». Mais il a le droit, « dans l’intérêt même de ces élèves, de s’interroger sur la sévérité de leur handicap et sur leur capacité à suivre son enseignement ». C.B n’a donc pas « manqué à son obligation d’impartialité et de neutralité ni à son devoir de réserve ».
Pour le tribunal, des propos « pas de nature à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire »
Dans son jugement , la magistrate rappelle toutefois qu’« il lui appartient d’adapter son enseignement à la diversité des profils de ses élèves ». Mais « compte tenu de l’absence d’antécédents disciplinaires et de la bonne qualité des évaluations de l’enseignant, ces faits, par leurs faibles gravité et fréquence, ne sont pas de nature à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire, fut-elle légère ». Fermez le ban.
« Une faute professionnelle », selon les associations
Pas tout à fait quand même car trois associations – APF France handicap, la Fnaseph et Trisomie 21, viennent de publier un communiqué pour regretter la décision du tribunal. « Ce n’est aucunement le rôle des enseignants de juger de l’accès à la scolarisation d’un élève. Cela constitue une faute professionnelle, qu’il est nécessaire de reconnaître. »
Ce rôle revient en effet à la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). À charge pour l’Éducation nationale et les enseignants d’inclure les élèves orientés vers le milieu ordinaire. Elles demandent donc au ministère de faire appel de la décision du tribunal administratif.
« Ce n’est pas sur les enseignants qu’il faut taper »
« Les associations se trompent de combat, s’indigne Maître Stéphane Colmant, l’avocat du professeur sanctionné, contacté par Faire-face.fr. Les enseignants n’ont pas les moyens de mettre en œuvre l’inclusion scolaire. Ce n’est pas sur eux qu’il faut taper mais sur un président de la République qui ne respecte pas ses engagements. L’inclusion scolaire, aujourd’hui, c’est la merde. »
Une opinion largement partagée… jusqu’au plus haut niveau
Mais pas question pour les trois associations signataires du communiqué de laisser passer les propos de cet enseignant. Ni leur non-condamnation par la justice. Ils reflètent, en effet, une opinion largement partagée. Jusqu’au plus haut niveau.
Il y a un an tout juste, Pap N’Diaye, qui était alors ministre de l’Éducation nationale avait déclaré devant les sénateurs « que tous les enfants ne peuvent pas être en milieu ordinaire ». Maître Stéphane Colmant s’y était d’ailleurs référé pour justifier les écrits de son client.
Et, selon un récent sondage commandé par un collectif dont font partie ces trois associations, à peine plus de la moitié des enseignants se disent favorables à l’inclusion scolaire des enfants autistes ou avec des déficiences intellectuelles. Moins encore pour ceux ayant des troubles psychiques.
Professeurs, associations et Défenseure des droits se retrouvent cependant sur un même constat : il faut un engagement plus fort de l’État pour garantir l’école inclusive.
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