[En salles] La Machine à écrire et autres sources de tracas : petits objets réparés, grands soucis écartés
Dans son dernier documentaire, en salles depuis le 17 avril, Nicolas Philibert filme des soignants tournevis ou chiffon à la main. Au domicile de patients atteints de troubles psychiques, ils réparent des objets pour soulager des âmes. Comme le ruban de la machine à écrire mécanique se replace par enchantement devant les petits marteaux des lettres, ces personnes reprennent le fil de leur vie.
« Je suis toute seule, je m’ennuie. Ça frappe la tête le silence. C’est pour ça que j’ai besoin de mon lecteur CD. Et encore ! Ça suffit pas, il faudrait que je sois deux. » Voilà ce que confie Murielle, en attendant ses sauveurs, des réparateurs pas tout à fait comme les autres…
Eux, ils sont deux et se désignent comme “l’orchestre”. Oualid et Jérôme. Soignants, ils interviennent au domicile des personnes suivies par le centre d’accueil psychiatrique de jour appelé l’Adamant, une péniche arrimée à un quai de Seine parisien. Séquence après séquence, superposées sans fioriture, le réalisateur Nicolas Philibert les suit dans quatre appartements dans ce dernier volet de son triptyque consacré à la psychiatrie, baptisé La Machine à écrire et autres sources de tracas.
Prendre soin des objets et des âmes
Les mains de ces soignants s’affairent sur les objets, les démontent, les remontent, bien souvent sans être certains de parvenir à une remise en route. Pourtant, le miracle survient, et Janis Joplin chante à nouveau, la machine écrit, l’imprimante scanne. Plus sûres d’elles, leurs bouches questionnent les inquiétudes, les envies, les attentes des personnes.
Ainsi, d’un lecteur DVD récalcitrant à un CD qu’il a suffi d’épousseter en passant par une imprimante rebelle, ce dernier opus illustre à merveille une idée simple. Celle selon laquelle venir à domicile réparer un objet précieux dans la vie quotidienne de son propriétaire contribue à son bien-être mental.
Surtout quand, comme pour Ivan, toute préoccupation concrète se transforme en montagne infranchissable sans une main tendue. Ou quand, comme Patrice, on risque de perdre ce qui maintient debout : la possibilité de taper à la machine les deux poèmes quotidiens écrits à la main « après un contrat passé avec moi-même ».
En équilibre précaire
La dernière séquence s’étire chez Frédéric. Artiste, dessinateur, amoureux de chanson et de livres, lui a besoin d’aide pour tenter d’opérer un tri dans les monceaux d’œuvres qu’il a amassées. Les tableaux qu’il a peints, les œuvres de Cocteau, des 33 tours, ou l’Odyssée mise là précisément pour caler la pile et éviter qu’elle ne s’effondre. « C’était un peu envahissant, alors je l’ai remise à sa place. »
La notion d’espace-temps se tord. En effet, difficile de se frayer un chemin dans l’appartement encombré de Frédéric. Mais le temps, lui, s’allonge agréablement. Contrastent aussi les cris des enfants de la cour de récréation sur laquelle s’ouvre son logement, situé dans le quartier du Marais, et son mince filet de voix. Elle reste comme en équilibre, une stabilité aussi précaire que les pyramides de disques et de livres qu’il fouille.
Périple sensible
Comme toujours, Nicolas Philibert, tout en sobriété, laisse entrevoir les maux au travers des silences et des mots. Et comme les deux précédents volets, Sur l’Adamant, ours d’or à la Berlinale en 2023, et Averroès et Rosa Parks, sorti le mois dernier, La Machine à écrire et autres sources de tracas illustre l’attention des soignants aux soignés, l’écoute offerte, l’appui prodigué.
Les trois films peuvent être vus indépendamment, et l’ordre importe peu. L’ensemble offre un voyage saisissant de sensibilité dans les interstices des psychologies humaines. Sur grand écran ou en DVD (Sur L’Adamant est déjà disponible), c’est à ne pas manquer !
La Machine à écrire et autres sources de tracas – Nicolas Philibert – 1h12
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