Législatives 2024 – Timothée Duverger : « Le programme du RN c’est donner plus à ceux qui ont déjà, moins à ceux qui ont peu »

Lutte contre la fraude aux aides sociales, suppression de l’impôt sur la fortune immobilière, renoncement à l’abrogation de la réforme des retraites. Selon le co-directeur de l’Observatoire de l’expérimentation et de l’innovation locales à la Fondation Jean Jaurès, Timothée Duverger, le programme du Rassemblement national conduirait à une redistribution inversée qui favoriserait les plus aisés. Autres risques majeurs : détricoter le lien social et voir naître une « société de la défiance ».

Faire-face.fr : Dans le cadre d’une étude réalisée par la Fondation Jean Jaurès, vous avez décortiqué le programme électoral du Rassemblement national. Quelle vision de la solidarité traduit-il ?

Timothée Duverger : La politique sociale du RN vise deux cibles : l’immigré et l’assisté, ses deux boucs émissaires. C’est une façon pour le parti de diviser les classes populaires, d’en opposer une partie à une autre, pour récupérer des voix. Au sein même de ces classes populaires mais aussi parmi ceux qui ne veulent pas contribuer à la solidarité nationale.

Avec le RN, certaines personnes contribueraient à la solidarité nationale, sans pouvoir en bénéficier. »

Dans son programme, cela se traduit concrètement par deux axes. D’abord, l’exclusion des étrangers du bénéfice des aides et prestations sociales et le conditionnement des aides contributives (les retraites, l’assurance chômage…) à cinq ans de vie sur le territoire. Autrement dit, certaines personnes contribueraient à la solidarité nationale, sans pouvoir en bénéficier. Ensuite, l’introduction de la préférence nationale pour l’attribution de ces mêmes aides sociales, en matière de logement par exemple. Le programme électoral de la présidentielle 2022 compte 22 propositions et tout ceci tient dans la première.

Le RN attend des associations qu’elles soient le bras armé d’une forme de tri des pauvres. »

La deuxième proposition de son programme, c’est la lutte contre la fraude. Sociale en premier lieu, plus que fiscale. Avec, à la clé, une confusion entre fraude et demande de contrepartie. Ainsi, une personne effectuant ses 15 heures d’activité désormais nécessaires pour toucher le RSA, pourrait être considérée comme fraudeuse si elle ne les fait pas.

C’est une forme de chasse aux pauvres. Cela généraliserait le non-recours, c’est-à-dire le fait de ne pas demander les aides auxquelles on peut prétendre. D’ailleurs, le RN attend des associations qu’elles soient le bras armé d’une forme de tri des pauvres. Sa vision sociale, c’est une société de la défiance. Donc une société dans laquelle le lien social se retrouverait forcément en crise.

Lors de la mandature précédente, les députés RN se sont abstenus sur la revalorisation des minima sociaux au niveau du seuil de pauvreté. »

F-f.fr : Pourtant, dans le cadre de la campagne des élections législatives, les candidats RN se positionnent souvent comme défenseurs du pouvoir d’achat. N’est-ce pas contradictoire avec l’idée d’une chasse aux pauvres ?

T.D : Lors de la mandature précédente, les députés RN ont voté contre l’indexation des salaires sur l’inflation, le gel des loyers, le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune ou encore l’augmentation du Smic. Ils se sont aussi abstenus souvent, par exemple sur la revalorisation des minima sociaux au niveau du seuil de pauvreté. Il faut donc distinguer la rhétorique et le discours, des propositions concrètes.

On assiste aussi ces derniers jours à certains reculs : la réforme des retraites ne devrait plus être retirée, et le RN défend maintenant, après s’être opposé au Gouvernement sur le sujet, l’idée des contreparties au RSA.

Supprimer des recettes fiscales, c’est priver l’État de moyens d’action. »

F-f.fr : Certaines mesures pourraient-elles mettre en difficulté les finances publiques et, par là-même, affaiblir notre système de protection sociale ?

T.D : Le RN propose une augmentation des salaires de 10 %, mais ce serait dans les seules entreprises volontaires, et l’absence de cotisations patronales promise en parallèle coûterait cher aux finances publiques. Cela grèverait particulièrement le budget de la Sécurité sociale qui est déjà déficitaire.

De plus, exonérer de charges patronales les bas salaires amène à créer des trappes à bas salaire et à y bloquer de nombreux salariés. Le RN veut aussi supprimer l’Impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, qui s’est substitué à l’ISF. C’est une mesure anti-sociale. De même qu’en matière de mesures en direction des jeunes, le RN entend soutenir les seuls actifs. Pas ceux en difficulté.

En somme, c’est une redistribution inversée : donner plus à ceux qui ont déjà, moins à ceux qui ont peu, le tout en supprimant des recettes fiscales et donc en privant l’État de moyens d’action.

Les personnes handicapées ne comptent pas parmi les actuels boucs émissaires du RN. Mais pour combien de temps ? »

F-f.fr : À quoi s’attendre dans le domaine du handicap plus précisément, en cas d’arrivée du RN au pouvoir ?

T.D : Son programme évoque l’accès aux transports et à la scolarisation mais de façon floue, sans dire avec quels moyens ni comment s’y prendre. À coup sûr, le handicap ne constituera pas une priorité. Certes, les personnes handicapées ne comptent pas parmi les actuels boucs émissaires du RN. Mais pour combien de temps ? La liste peut s’allonger.