Jeux paralympiques Paris 2024 : « Ces athlètes que nous admirons sont le fruit d’un combat militant »
À l’occasion des Jeux de Paris, une exposition au Panthéon revient sur la genèse du mouvement paralympique et sur le combat pour l’émancipation et l’égalité qu’il représente. Sylvain Ferez*, sociologue du sport et l’un des commissaires de ces Histoires paralympiques en retrace les grandes étapes.
Faire Face : Quelle est l’une des plus anciennes compétitions sportives impliquant des personnes en situation de handicap ?
Sylvain Ferez : Le 24 mars 1895, Le Petit Journal évoque « une course des jambes de bois ». On se situe alors clairement du côté du phénomène de foire. À cette époque, la diversité corporelle est vue comme une altérité pittoresque. Les premiers pratiquants chercheront à tout prix à rompre avec cette exhibition.
FF : En quoi l’année 1948 constitue-t-elle une date clé dans l’histoire des jeux Paralympiques ?
S.F : Le 29 juillet 1948, en parallèle des jeux Olympiques de Londres, le neurochirurgien Ludwig Guttmann organise une journée sportive de compétition de tir à l’arc dans le centre de réadaptation spécialisé qu’il a fondé à Stoke Mandeville, près de la capitale britannique. Seize archers (quatorze hommes et deux femmes), principalement des blessés médullaires, s’affrontent dans une compétition à visée caritative. Ce sont les prémices d’une pratique et d’un mouvement.
Durant les années 1950, ces jeux attirent de plus en plus de participants et commencent à s’internationaliser. Ils s’inscrivent dans une logique rééducative.
Que de chemin parcouru jusqu’aux Jeux de Paris 2024 représentés par un même logo et une seule équipe ! »
FF : Quand la France rejoint-elle le mouvement ?
S.F : L’Amicale sportive des mutilés de France (ASMF) participe à ces jeux pour la première fois en 1955, un an après sa création au sein du cercle d’anciens combattants Rhin et Danube. Les fondateurs de l’amicale sont majoritairement des personnes amputées.
En 1960, les premiers jeux d’été dits “para-olympiques”
FF : Où se situe le point de bascule ?
S.F : À Rome en 1960, se déroulent les premiers jeux d’été dits “para-olympiques”. Ludwig Guttmann entretient des liens d’amitié avec un confrère italien, Antonio Maglio, qui a fondé un centre de rééducation pour paraplégiques dans la capitale italienne. Ces jeux bénéficient des infrastructures olympiques. Mais s’ils quittent l’enceinte hospitalière, ils restent encadrés par des médecins. Toutefois, une dynamique se fait jour, qui aboutira en 1989 à la création du Comité international paralympique (CIP). Les Jeux désigneront alors un événement reconnu par le CIO faisant concourir des athlètes porteurs de divers types d’incapacités, en réalité “autrement capables”.
C’est aussi à cette date qu’il est acté que les jeux Olympiques et Paralympiques se tiendront désormais obligatoirement sur le même site. Une réunion qui ne sera effective qu’à partir de 1996, à Atlanta, aux États-Unis. Que de chemin parcouru jusqu’aux Jeux de Paris, représentés pour la première fois, par un seul et même logo et une seule et même équipe !
EN CHIFFRES
Jeux de Rome (1960) – 23 nations – 400 athlètes – 8 disciplines
Jeux de Paris (2024) – 184 nations – 4 400 athlètes – 23 disciplines
FF : Si l’on balaie toutes ces décennies, on constate que le mouvement paralympique, né dans les centres de rééducation, prend ses distances avec le monde médical. Pourquoi ?
S.F : L’envie d’une pratique sportive semblable à celle des autres pousse à se rassembler et à rompre les liens avec les médecins. Progressivement, ce sont les sportifs qui vont incarner et fédérer ce mouvement. Comme Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité paralympique et sportif français.
Les Jeux de Londres, point d’orgue de la nouvelle ère du paralympisme
FF : En quoi les Jeux de Londres de 2012 marquent-ils, eux-aussi, un tournant ?
S.F : C’est le point d’orgue de la nouvelle ère du paralympisme, à laquelle les personnes porteuses de déficiences intellectuelles sont associées. Londres ouvre aussi la voie à une médiatisation de plus en plus importante. En France, il faudra encore attendre les jeux de Tokyo, en 2021, pour que le journal L’Équipe décide de consacrer sa manchette de Une à chaque médaillé paralympique. Et au moins une double page aux résultats des Jeux durant toutes les épreuves. Reste à découvrir comment les médias français couvriront cette édition à Paris.
FF : Pourquoi vous a-t-il paru évident d’installer cette exposition dans un lieu aussi emblématique que le Panthéon ?
S.F : Les athlètes de haut niveau que nous admirons aujourd’hui sont le fruit d’un combat militant qui a aidé à la reconnaissance sociale de la diversité. De grands sportifs, médaillées et médaillés paralympiques ont écrit cette histoire. De son côté, le Panthéon honore des grands hommes et des grandes femmes liés à des mouvements émancipatoires. Tout comme il loue les inventeurs et les scientifiques. On pense évidemment à Louis Braille, à l’origine de l’écriture tactile, entré au Panthéon en 1952.
Le mouvement paralympique est, lui aussi, à l’origine d’un certain génie des dispositifs. Il produit des inventions à visée émancipatrice, comme des prothèses ou autres appareillages. Et pas seulement pour les sportifs ! Enfin, la diversité a présidé aux récents choix de panthéonisation avec l’entrée de Joséphine Baker, en 2021. Il nous a semblé que la diversité pouvait aussi s’incarner dans des corps porteurs de différences.
Percevoir et voir de la performance, et non de la déficience
FF : En quoi un tel événement peut-il contribuer à une meilleure inclusion sociale des personnes en situation de handicap ?
S.F : Les spectateurs vont percevoir et voir de la performance, et non de la déficience. L’objectif est de s’éloigner d’une certaine forme d’héroïsation, même si la finalité des jeux Olympiques comme Paralympiques a toujours été de récompenser les meilleurs. Il s’agit d’arrêter de se focaliser sur ce que certains ne peuvent pas faire comme les autres pour réaliser, au contraire, ce que chacun est capable d’entreprendre avec ses propres possibilités.
Grâce aux Jeux, la représentation du handicap dans les médias va continuer de bouger tout comme notre sensibilité accrue à la diversité. Il y a quelques années encore, il aurait été inimaginable qu’un sportif porteur de déficience intellectuelle comme Charles-Antoine Kouakou, champion paralympique du 400 m, soit interviewé à la télévision. L’impact que cela peut avoir sur la société est considérable.
* Sylvain Ferez est maître de conférences à l’université de Montpellier et directeur adjoint du laboratoire Santé, éducation, situations de handicap (Santésih) de l’UFR Staps de cette même université.
En pratique
Histoires paralympiques. De l’intégration sportive à l’inclusion sociale (1948-2024). Jusqu’au 29 septembre 2024. Gratuit pour les moins de 26 ans, les personnes en situation de handicap et leurs accompagnateurs. Exposition accessible à tous les publics : stations de consultation en position assise, vidéos en LSF, dessins tactiles et objets à toucher accompagnés de légendes en braille et en gros caractères… Livret d’accompagnement à la visite en français facile à lire et à comprendre (Falc) à disposition des visiteurs. Sur demande à l’accueil.
www.paris-pantheon.fr
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