Jeux paralympiques Paris 2024 – Des carrières compliquées par manque de moyens financiers
Équipements, déplacements, éventuelles prothèses… la pratique du handisport coûte cher à des sportifs moins fortunés que leurs homologues valides. Malgré l’engagement de sponsors privés, il reste difficile, même au très haut niveau, de réunir les conditions optimales d’entraînement et donc, de performance(1).
« M’arrêter de travailler ? Impossible ! » Lydie Mahé, 60 ans, championne de France de paracyclisme pour la première fois en 2018 – non sélectionnée pour les Paralympiques de Paris 2024 -, n’en reste pas moins contrôleuse des finances pour gagner sa vie. À temps plein. Résultat ? « Je suis accro au handbike depuis que j’ai commencé la compétition, en 2011. Mais je ne peux pas m’entraîner aussi souvent que je le voudrais. Alors, j’essaie de rouler le week-end et j’ai un home trainer(2) chez moi, que mon mari a bricolé pour qu’il s’adapte au mieux à mon vélo. » Un handbike acheté d’occasion grâce à son sponsor, la Masfip. « Sans leur soutien, je n’aurais jamais pu faire de compétition. Ils m’accompagnent depuis 2012 », précise-t-elle.
L’exemple de Lydie Mahé est parfaitement emblématique. « Je connais beaucoup d’athlètes obligés d’avoir une autre activité, faute d’être rémunérés comme sportifs professionnels. Financièrement, certains tirent vraiment la langue. Pourtant, s’ils pouvaient s’entraîner autant qu’ils le veulent, ils afficheraient sans nul doute de bien meilleures performances ! Clairement, le handisport français ne joue pas dans la même cour que d’autres fédérations étrangères. »
Des coûts élevés pour pratiquer
Dans ces conditions, le soutien de partenaires privés s’avère indispensable, car les coûts liés à la pratique sportive de haut niveau sont conséquents. D’abord, comme les athlètes valides, les parasportifs effectuent de nombreux déplacements pour participer aux compétitions. « Grâce à la Masfip, cela ne me coûte rien », indique Lydie Mahé. Mais ce n’est pas le cas pour tous les athlètes porteurs de handicaps. Certains doivent aussi recourir à des prothèses spécifiques pour pratiquer leur discipline.
À l’image de la paratriathlète Élise Marc, 36 ans, double amputée tibiale, médaille d’or aux derniers championnats d’Europe à Madrid, en 2023, et en piste pour les Jeux de Paris. Ses lames de sport, communes à la course à pied et au vélo, coûtent de 7 000 à 8 000 euros. Elle devrait en changer tous les ans, mais elle les conserve plutôt deux. « J’ai testé de nombreuses solutions. Mes prothésistes y passent beaucoup de temps… Et ils m’offrent mes lames ! », remercie la jeune femme. Quant aux équipements sportifs, ils requièrent non seulement des adaptations – sur son vélo, Élise Marc dispose ainsi de coques à la place des classiques pédales automatiques –, mais peuvent également générer d’important surcoûts.
Paty Koti-Bingo, 41 ans, basketteur paraplégique qui ne joue pas en équipe de France, doit pour sa part financer un fauteuil roulant de sport tous les deux ans. Montant : 9 000 euros. Sans oublier les roues en carbone, changées au moins une fois entre temps, pour une somme à hauteur de 1 200 euros. Collectif, son sport impose aussi les lieux d’entraînement. Ainsi le basketteur doit-il parcourir 500 km hebdomadaires pour se rendre quatre fois par semaine dans son club des Hauts-de-Seine depuis son domicile de Seine-et-Marne. Des frais de déplacement aujourd’hui couverts pour moitié par le club et pour le reste par son sponsor, la Masfip.
Aux sponsors, de la reconnaissance
Lorsqu’en dépit des contraintes et des sacrifices, les athlètes porteurs de handicaps parviennent au très haut niveau, les financements semblent en effet plus faciles à réunir. Quatre fois de suite médaillée d’or aux championnats du monde et triple championne d’Europe de paratriathlon, Élise Marc tient ainsi à souligner son bonheur de « vivre de [son] sport et de représenter la France ». Elle en remercie ses sponsors, Apicil, ses prothésistes et la Fédération française de triathlon… « Je m’y consacre à plein temps. Je m’entraîne 15 à 25 heures par semaine et en parallèle, il y a des séances de kiné, la préparation mentale, l’entretien du vélo… »
Même gratitude de la tenniswoman Charlotte Fairbank, en lice à Paris après une élimination au premier tour à Tokyo en 2021, à l’égard de ses très nombreux partenaires (Le Coq sportif, Natixis, TGS France, Taxis G7…). Numéro 3 française et 25e mondiale en tennis fauteuil, elle supporte ainsi les importants coûts liés à ses déplacements, ses frais d’entrée en tournoi… Mais elle regrette de ne pouvoir s’offrir la présence de son kiné ou de son entraîneur à ses côtés, à la différence de joueurs valides.
Des inégalités bien ancrées
C’est l’une des injustices que subissent les para-athlètes. Parmi d’autres, car leurs récompenses et gratifications s’avèrent très inférieures à celles des sportifs valides. Lydie Mahé, par exemple, ne bénéficie pas de massages offerts à l’issue de ses compétitions, puisqu’elle ne fait pas partie de l’équipe de France. À quoi tiennent ces différences de traitement ?
Fin connaisseur du handisport, lui-même basketteur et rugbyman en fauteuil, Ryadh Sallem estime qu’elles s’enracinent dans la perception encore trop souvent amatrice du handisport. « Le handicap a toujours relevé de la charité. Et l’intégration du handisport a parfois été imposée aux fédérations valides. Ce n’était pas leur projet, alors elles ne s’impliquent pas. »
Pour changer la donne, il aimerait voir se dessiner « un modèle économique comme dans le sport valide, avec l’émergence de personnalités qui drainent de l’argent ». Notamment grâce aux contrats publicitaires. À ses yeux malgré tout, il est plus facile ces dernières années de
mobiliser des partenaires privés, « même s’ils s’impliquent souvent au titre de leur engagement RSE et non pour soutenir la professionnalisation du handisport ».
Autre motif d’inégalité pointé par les sportifs interrogés, à l’instar de Paty Koti-Bingo, « le handisport n’est pas assez médiatisé ». Alors, tous espèrent qu’il y aura un avant et un après Paris 2024, que les Français emboîteront le pas aux Britanniques. Charlotte Fairbank, qui a séjourné et étudié outre-Manche, affirme en effet que les Jeux de Londres ont vraiment changé la donne en termes de visibilité. Mais elle se réjouit déjà de voir, depuis quelques années, les handisportifs de plus en plus considérés : « Comme des sportifs, point. Pas comme des sportifs handicapés. » Même si elle reconnaît jouer, encore, bien souvent, devant des gradins très clairsemés…
(1) Cet article est aussi paru dans le magazine Faire Face – Mieux vivre le handicap de mai-juin 2024 et a été actualisé. (2) Outil d’entraînement en intérieur sur lequel se pose le vélo et qui permet de rouler sans se déplacer.
Sponsors et sportifs, comment ça marche ?
Les handisportifs interrogés le disent, les sponsors leur demandent peu de contreparties : un logo sur le vélo ou le tee-shirt, une présence sur les réseaux sociaux, parfois de venir au sein des entreprises rencontrer les salariés… Les entreprises, elles, confient espérer de la visibilité et affirment vouloir contribuer à ce que les personnes handicapées trouvent leur place dans la société. Bien souvent, les athlètes peuvent recommander d’autres sportifs à leurs sponsors. De leur côté, ces derniers observent les résultats de leurs possibles champions. Les partenariats ? Ils sont signés pour quelques années consécutives. Et certaines entreprises, plus que d’autres, essaient de tisser des liens entre leurs athlètes. À l’image d’Apicil, qui veut insuffler un esprit d’équipe entre les huit sportifs qu’elle soutient.
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