Jeux paralympiques Paris 2024 – Jonathan Hivernat, rugby fauteuil : « Ce sport m’apporte une force à la fois physique et mentale »

Publié le 29 août 2024 par Florent Godard
Jonathan Hivernat lors de l'Euro de rugby fauteuil à Paris en 2022 qui a consacré la France championne d'Europe pour la première fois. © D. Echelard

Double champion d’Europe de rugby fauteuil en 2022 et 2023, le capitaine de l’équipe de France Jonathan Hivernat, 33 ans, écrit les belles pages de l’histoire de ce jeune sport, apparu aux jeux Paralympiques d’Atlanta (États-Unis) en 1996. Une discipline spectaculaire, mélange de plusieurs sports, qui est devenue son « mode de vie »(1).

Faire Face : Le rugby fauteuil , sport paralympique, est un mélange de plusieurs sports. Pouvez-vous nous en rappeler les règles ?

Jonathan Hivernat : Cela remonte à ses origines. Le rugby fauteuil a été inventé dans les années 1970 au Canada par d’anciens hockeyeurs professionnels devenus tétraplégiques. Ils ont pioché dans les règles du hockey, du rugby, du football américain et du basket, afin de créer une nouvelle discipline en l’adaptant à leurs lésions.

Un quatre contre quatre sur un terrain de basket avec un ballon de volley

Concrètement, ce sport se joue à quatre contre quatre, sur un terrain de basket. Pour marquer, il faut atteindre la zone d’en-but(2) adverse, délimitée par deux plots espacés de 8 mètres. Les joueurs utilisent un ballon de volley, léger et facile à manipuler. Ils peuvent faire des passes en avant, en arrière et sur le côté. Le contact entre fauteuils est autorisé.

En revanche, tout contact avec le corps de l’adversaire est interdit et sanctionné par “une prison”, c’est-à-dire une mise sur la touche temporaire. Le chronomètre rend le jeu très dynamique. La possession de balle se limite à 40 secondes et le porteur du ballon doit réaliser une passe ou un rebond toutes les dix secondes.

FF : Il existe une foule de combinaisons possibles comme au rugby à XV ou au football américain…

J.H : Tout à fait. Par exemple, le porteur du ballon peut faire une fixation, comme au rugby, en attirant la défense vers lui pour créer des espaces avant de passer le ballon à un coéquipier démarqué. Et sur le modèle du foot américain, le meneur peut aussi se placer en retrait, comme un quaterback(3), puis lancer la balle en avant vers le joueur le mieux placé. Ou bien partir en solo, se faufiler dans la défense pour marquer.

FF : À qui s’adresse ce sport ?

J.H : À des joueurs atteints d’un handicap des quatre membres, tétraplégiques, quadriplégiques ou assimilés. D’où son autre nom “quad rugby”. Il peut s’agir de personnes amputées, ayant une infirmité motrice cérébrale…

La première fois que des spectateurs l’ont découvert, ils se sont dits : « Ils sont vraiment fous  ! »

FF : Votre sport a été surnommé “Murder Ball” au début. Est-ce vrai ?

J.H : Oui. Au moment où il a fait son apparition au Canada, puis débarqué aux États-Unis. Déjà, c’est une discipline spectaculaire. Voir des personnes en situation de handicap, qui plus est atteintes des quatre membres, pratiquer un sport casse-cou… ça a marqué les  esprits. La première fois que des spectateurs l’ont découvert, ils se sont dits : « Ils sont vraiment fous ! » Certains avaient l’impression que les sportifs jouaient avec leur vie, en voyant les fauteuils s’entrechoquer et tomber à la renverse. D’où le “Murder Ball”. Je grossis le trait, mais c’est ça l’idée.

FF : Cette question du risque de blessure, vous la pose-t-on souvent ?

J.H : Très souvent ! Et la première chose que je réponds, c’est qu’on tombe assez rarement, rapporté au temps de jeu total. Seul le matériel entre en collision. Le joueur est vraiment bien sanglé, alors il ne peut pas se retrouver projeté en dehors de son fauteuil. Enfin, comme dans les sports de combat, on apprend à anticiper la chute et à tomber sans se faire mal.

Ce sport aide à s’accepter, à se sentir vivre pleinement et à donner du sens à son existence »

FF : Ce sport casse plutôt l’image de fragilité que le grand public projette parfois sur le handisport et sur les personnes handicapées…

J.H : Exactement. Vous ne voyez pas une personne en situation de handicap mais un athlète. Et surtout, ça donne plein d’inspiration et d’espoir. En montrant ainsi que beaucoup de choses sont possibles dans la vie, si on a une réelle volonté d’entreprendre.

Sans le rugby fauteuil, au vu de ma pathologie dégénérative, je serais totalement paralysé aujourd’hui. Ça m’a apporté une résilience. Ce sport aide à s’accepter, à se sentir vivre pleinement et donc à donner du sens à son existence. Le rugby m’apporte une force au quotidien, à la fois physique et mentale. C’est devenu mon mode de vie et ma science rééducative. Je recommande mille fois ce sport.

FF : Votre science rééducative ?

J.H : Oui, le rugby complète ma rééducation. Je souffre d’une maladie de Charcot-Marie-Tooth (CMT) type 1A, une pathologie dégénérative qui touche la gaine desnerfs de la moelle épinière aux extrémités du corps. J’ai progressivement perdu l’usage de mes membres inférieurs et de la mobilité au niveau des mains. Il faut savoir aussi qu’avec cette maladie vous êtes très fatigable. Le moindre geste du quotidien vous coûte 2 à 100 fois plus d’énergie qu’à une personne lambda.

Au début, je ne tenais pas plus de 5 à 10 minutes sur le terrain. Mais à forcer de m’entraîner, je suis devenu plus endurant. Physiquement et mentalement. Grâce à cette persévérance, les gestes du quotidien deviennent plus simples.

FF : Vous avez été sacré champion d’Europe en 2022 puis en 2023…

J.H : On a écrit de belles pages pour le rugby fauteuil français. Autre satisfaction : depuis sa création en 2011, la France s’est toujours qualifiée sur les grandes compétitions. Malgré le peu de moyens dont nous disposons. Par ailleurs, le top 8 mondial est professionnel, alors que nous restons amateurs(4). Il faudrait plus de moyens pour passer un cap en termes de performance.

FF : L’équipe de France vise-t-elle l’or paralympique à Paris quoiqu’il arrive ?
J.H : Notre équipe ne cesse de s’améliorer. On fera tout pour déjouer les pronostics. Comme aux derniers championnats du monde(5). Car même si nous n’avons pas remporté le titre, en phase de poule nous avons tout de même battu les vice-champions et les champions paralympiques en titre(6).

(1) Cet article a déjà été publié dans le magazine Faire Face – Mieux vivre le handicap de janvier-février 2023 et mis à jour à l’occasion des jeux Paralympiques. (2) Zone située derrière la ligne de but. (3) Poste offensif. (4) En rappelant aussi que le matériel est onéreux : les fauteuils de sport coûtent environ 14 000 € et se renouvellent tous les trois ans. (5) La France a été éliminée en quarts de finale du championnat du monde en octobre 2022, face au Danemark, pays hôte de la compétition (55-53). (6) Champions paralympiques de Tokyo : la Grande-Bretagne et vice-champions : les USA. En phase de poule, la France a remporté ses cinq matchs à disputer.

Jonathan Hivernat en sept dates

21 janvier 1991 : naissance à Figeac (Lot).
2009 : découverte du rugby-fauteuil en centre de rééducation, lors d’une démonstration du Stade Toulousain Handisport. Adhère au club dans la foulée.
2011 : intègre l’équipe de France.
2017 : médaille de bronze aux championnats d’Europe.
2013 – 2017 : diplôme de comptabilité-gestion à la Toulouse School of Management.
2020 : intègre Decathlon en tant que vendeur à Toulouse. Intervient aussi comme conférencier sur les thèmes du management et du handicap, notamment pour ses sponsors comme Toyota ou Société Générale.
2022 et 2023 : champion d’Europe de rugby fauteuil avec l’équipe de France à Paris (2022) et Cardiff (2023).

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