Jeux paralympiques Paris 2024 – Dimitri Jozwicki, para-athlétisme : « Le sport ne doit pas servir qu’à gagner des médailles »
Qu’est-ce qui fait courir Dimitri Jozwicki ? La médaille que le sprinteur paralympique de 27 ans, vice-champion d’Europe du 100 m, rêve de décrocher aux Jeux, bien sûr. Mais aussi l’espoir que la médiatisation de cet événement sportif de grande ampleur mette un coup de projecteur sur la situation des parasportifs de haut niveau*.
Faire Face : Quand le sport est-il entré dans votre vie ?
Dimitri Jozwicki : Assez tôt, vers l’âge de 7-8 ans. Nous avons commencé par le football avec Rémi, mon frère jumeau. Ça devait soulager un peu mes parents que nous nous défoulions ! Nous sommes une fratrie de trois garçons. Puis, nous avons enchaîné avec le rugby auquel j’ai finalement dû renoncer. En effet, recevoir des coups violents derrière la tête risquait d’aggraver mes problèmes de santé.
FF : Le diagnostic de votre handicap a été posé assez tard. Comment avez-vous vécu cette annonce ?
D.J : Comme un véritable soulagement car on disait de moi que j’étais un petit garçon fainéant. Or, je n’arrivais tout simplement pas à suivre le rythme des autres enfants en raison de mes troubles moteurs. Je suis atteint d’une tétraparésie, autrement dit une paralysie partielle des quatre membres, liée à ma grande prématurité. Je suis né à 5 mois et demi et pesais 800 grammes. J’ai survécu à de multiples opérations liées à une entérocolite nécrosante. J’en ai gardé des séquelles musculaires.
Le déclic en regardant courir Christophe Lemaitre aux championnats d’Europe d’athlétisme en 2010
FF : Quand découvrez-vous l’athlétisme ?
D.J : En 2010, avec mon frère, nous regardons à la télévision les championnats d’Europe d’athlétisme, qui se tiennent à Barcelone. Christophe Lemaitre y remporte trois médailles d’or (au 100 m, 200 m et 4×100 m, ndlr). Rémi et moi nous identifions à ce sportif et à son parcours. Nous avons alors un déclic pour le sprint et décidons de nous lancer en 2011. Je cours d’abord en tant que valide et en 2016, je découvre le para-athlétisme. Je rentre dans la catégorie T 38
Dans la vie d’un sprinter, tout peut se jouer au millième de seconde. C’est cruel mais c’est aussi ça la beauté de mon sport. »
FF : Le handicap vous a-t-il éloigné de votre frère ?
D.J : Je n’ai jamais ressenti de jalousie à l’égard de mon frère et, inversement, lui ne s’est jamais senti coupable. Nous sommes inséparables. Quand j’ai découvert le para athlétisme, il est devenu guide d’un athlète déficient visuel. Cela l’a conduit à bifurquer dans ses choix d’études vers un cursus Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives).
L’âge d’or d’un sprinter ? Entre 26 et 32 ans
FF : Quelles sont les difficultés de votre discipline ?
D.J : Je n’ai pas le droit de procrastiner. Je dois sans cesse repousser mes limites. Je peux m’entraîner jusqu’à m’en faire vomir certaines fois, tellement l’effort physique est intense. Dans la vie d’un sprinter, tout peut se jouer au millième de seconde. C’est cruel mais c’est aussi ça la beauté de mon sport.
FF : Comment vous sentez-vous vis-à-vis de votre sport ?
D.J : L’âge d’or d’un sprinter se situe entre 26 et 32 ans, alors j’y vais à fond ! Sachant que j’ai aussi conscience que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Ça aide à relativiser.
FF : Vous faites référence à ce qui vous est arrivé en 2021 après les Jeux de Tokyo ?
D.J : Oui. J’ai failli mourir d’une occlusion intestinale sévère. Les médecins ont dit à ma famille : « Le sport de haut niveau, c’est fini. » Et j’ai remonté la pente. Mais je garde ça à l’esprit.
Le sport doit aider à briser les barrières
FF : Que vous apporte la pratique d’un sport dans votre quotidien ?
D.J : Le sport m’a permis d’entretenir mes capacités physiques. Mais il m’a aussi aidé à m’épanouir, à me sentir pleinement inclus dans la société,. Quand j’ai commencé la compétition, j’ai pris confiance en moi. S’il ne me définit pas en tant que personne, le handicap fait partie de moi. Aujourd’hui, je ne changerai pour rien au monde, car cette situation m’a permis de courir dans les plus beaux stades du monde.
En octobre 2023, j’ai par exemple effectué un stage en Espagne dans la Sierra Nevada. Le centre d’entraînement se situait à 2 300 mètres d’altitude. Je me levais le matin littéralement la tête dans les nuages ! C’était intense physiquement, en raison du manque d’oxygène, mais magique.
Aux jeux Paralympiques, les gens vont vite oublier qu’ils regardent du parasport. Ils seront face à des athlètes et ils verront leurs capacités, pas leurs difficultés. »
FF : Vous prenez régulièrement la parole. Vous faites des interventions en entreprise et en milieu scolaire autour du handicap. C’est aussi le rôle d’un athlète selon vous ?
D.J : Je suis persuadé que le sport ne doit pas servir qu’à gagner des médailles. Même si j’adore ça ! En tant qu’athlète en situation de handicap, je me sens investi d’une autre mission. Celle d’utiliser le sport de haut niveau comme tribune, pour parler du handicap et de l’inclusion par le sport. Il doit aider à briser les barrières, à faire évoluer les mentalités. C’est pour moi une autre forme de récompense d’avoir cet impact-là.
Aux jeux Paralympiques, les gens vont vite oublier qu’ils regardent du parasport. Ils seront face à des athlètes et ils verront leurs capacités, pas leurs difficultés.L’idée n‘est pas d’être dans la négation du handicap, mais dans un changement de regard, qui ne soit plus uniquement centré sur la déficience.
Courir après les sponsors et le financement
FF : Vous avez un travail au sein d’APF France handicap, des sponsors (Décathlon, L’Oréal…) et vous faites partie de la Team Athlètes de l’association. Mais il vous faut tout de même jongler entre entraînement et vie professionnelle. Que pouvez-vous nous dire du statut de sportif de haut niveau ?
D.J : Je suis en effet ergothérapeute deux jours par semaine au sein du TechLab d’APF France handicap, le hub de l’innovation technologique. J’y teste du matériel destiné à faciliter le quotidien des personnes en situation de handicap. J’ai la chance d’exercer mon métier au sein d’une structure compatible avec mon entraînement et d’avoir son soutien. Je suis aussi fier de porter ses couleurs et ses valeurs.
Mais beaucoup d’athlètes de haut niveau doivent courir après les sponsors et le financement. Il n’est pas normal que certains d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté. Quand on a vocation à devenir un champion, il faut pouvoir se concentrer sur cet objectif, sans avoir à se demander comment boucler les fins de mois. Paris 2024, c’est aussi l’occasion de parler de cette réalité souvent tue.
* Cet article a déjà été publié dans le magazine Faire Face – Mieux vivre le handicap de mars-avril 2024 et mis à jour à l’occasion des jeux Paralympiques.
Dimitri Jozwicki en six dates
8 février 1997 : naissance à Nancy (54).
2011 : commence l’athlétisme avec son frère jumeau Rémi.
Janvier 2016 : premiers championnats de France handisport en salle.
2019 : rejoint le Lille Métropole Athlétisme / Diplôme d’ergothérapeute.
2021 : 4e aux jeux Paralympiques de Tokyo / Vice-champion d’Europe en Pologne sur 100 m.
2023 : Ergothérapeute expert au TechLab APF France handicap de Tourcoing (59).
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