Jeux paralympiques Paris 2024 – Claire Ghiringhelli, para-aviron : « J’ai arrêté de ramer avec ma colère »

Publié le 1 septembre 2024 par Claudine Colozzi
À l’exception du médecin du centre de rééducation, aucun n’a voulu lui faire de licence, prétextant que le para-aviron était un sport trop violent. Mais Claire Ghiringhelli n’a rien lâché. © DR

Paraplégique à la suite de l’ablation d’une tumeur qui compressait sa moelle épinière, Claire Ghiringhelli, 46 ans, a découvert le para-aviron en 2018, moins d’un an après son opération. Un véritable coup de foudre pour cette ingénieure dans l’aéronautique, maman de trois enfants, ayant retrouvé l’estime de soi. Et la confiance en ses capacités grâce à la pratique de ce sport. En 2023, la Franco-Suisse a choisi de rejoindre l’équipe suisse. Elle est la première rameuse suisse à participer aux jeux Paralympiuq.

Faire Face : Comment est survenu votre handicap ?

Claire Ghiringhelli : En octobre 2017, les médecins me découvrent une tumeur thoracique très grave avec compression à plus de 95 % de la moelle épinière. Ce diagnostic vient clôturer trois ans de chutes, de fractures, de problèmes urologiques. Des symptômes forts et très douloureux qu’au départ je n’ai pas voulu prendre au sérieux. Je n’étais pas à l’écoute de mon corps comme j’aurais dû l’être.

La seule solution qui se présente alors à moi : une intervention chirurgicale très lourde, très invasive avec une part de risques pour retirer cette tumeur. Or, j’en ressors paraplégique. Si aujourd’hui, je peux encore me tenir debout, mon périmètre de marche est très restreint et je me déplace en fauteuil roulant.

Un sport pour lequel elle n’avait aucun repère de personne valide

FF : Vous êtes opérée en novembre 2017. En septembre 2018, vous poussez la porte de votre club d’aviron. Pourquoi cette envie de vous remettre au sport ?

C.G : J’étais déjà sportive. Je pratiquais la course à pied, le trail. Surtout, j’étais très en colère. Je cherchais absolument à vaincre le handicap. Dans ma tête, j’étais persuadée que je ne resterais pas handicapée, que je retrouverais mes capacités physiques.

FF : Comment découvrez-vous le para-aviron ?

C.G : D’abord, je cherchais un sport pour lequel je n’avais aucun repère de personne valide. Mon ex-mari m’a proposé de me renseigner sur les sports adaptés aux paraplégiques et nous sommes tombés sur l’aviron. J’ai regardé des vidéos sur YouTube, puis, j’ai cherché un club avec du matériel adapté. C’est comme cela que j’ai contacté celui de Corbeil-Essonnes. Il accueille des personnes valides et en situation de handicap. Le feeling a été immédiat, notamment avec le directeur technique qui est devenu mon coach.

Des premiers coups de rame décisifs

FF : Vous souvenez-vous de votre première impression quand vous vous êtes retrouvée dans le bateau ?

C.G : Horrible ! Ça bouge énormément. Quand vous n’avez pas beaucoup d’abdos, vous avez la sensation que vous allez tomber. Et puis j’ai donné les premiers coups de rame, et là, j’ai adoré. C’est quand même autre chose que de pousser son fauteuil pour avancer.

L’aviron m’a sortie de ma vie d’avant. »

FF : Que vous a apporté cette pratique sportive ?

C.G : L’aviron m’a sortie de ma vie d’avant. J’ai rencontré des gens qui ne me connaissaient pas et ne me posaient pas de questions. Ils m’ont prise telle que j’étais. Quand on est en situation de handicap, tout est difficile. Mais on ne peut pas dire qu’on se dépasse vraiment lorsque l’on parvient à s’habiller le matin. J’aime la fatigue liée au sport. Ça m’a redonné une “normalité” dans la vie.

Comme parallèlement, j’ai repris mon travail, j’ai pu m’appuyer sur le sport et sur ma vie professionnelle. Deux socles qui n’avaient pas été détruits avec le handicap. À partir de ce moment, j’ai retrouvé confiance en moi.

Passage dans le haut niveau en 2021

FF : Quel a été le déclic pour vous lancer dans la compétition ?
C.G : En février 2019, mon club m’a proposé de m’inscrire aux championnats indoor de para-aviron. Je me suis prise au jeu. Rapidement, je suis devenue hyper combative et très en forme au niveau cardio, capable de développer une force importante. Et je me suis dit alors que je voulais poursuivre la compétition. Et mon club m’a soutenue. J’ai basculé dans le haut niveau en 2021. [Ndlr : en 2023, Claire a choisi de rejoindre l’équipe suisse après avoir eu du mal à s’intégrer dans le collectif France.]

C’est un sport où l’on avance en reculant. J’y vois une symbolique proche du parcours de reconstruction lié au handicap. »

FF : Quelle relation entretenez-vous avec votre discipline ?

C.G : Je vise l’excellence. J’ai arrêté de ramer avec ma colère. Car les émotions négatives ne produisent rien de bon. Et quand je me retrouve dans mon bateau face à un coucher du soleil, je réalise aussi combien la pureté et la beauté du para-aviron me nourrissent.

Être seule, obligée de trouver des repères sur les côtés pour aller droit. Mettre toute sa force pour atteindre un endroit imperceptible de prime abord. C’est un sport où l’on avance en reculant. J’y vois une symbolique proche du parcours de reconstruction lié au handicap.

FF : Faites-vous une différence avec ce que vous ressentiez avant votre handicap ?

C.G : J’ai renoué avec ce besoin que j’ai toujours eu de me retrouver seule dans la nature. Si je ne vais pas bien, je me mets à ramer et je me sens mieux. Faire du sport me permet d’être la personne que je suis aujourd’hui. Quand je suis sortie de l’hôpital, j’avais pris quinze kilos. Je n’avais plus de muscles. Là, j’ai retrouvé un corps athlétique que j’aime.

Et j’ai aussi une hygiène de vie qui m’aide à me sentir bien physiquement. Ainsi quand je vais à l’hôpital, les équipes sont toujours surprises de voir comment je gère mes transferts, mon quotidien grâce à ma musculature.

Le plus grand frein à la pratique sportive ? Soi-même

FF : Selon vous, qu’est-ce qui empêchent les personnes en situation de handicap de se lancer dans une pratique sportive ?

C.G : Le plus grand des freins, c’est soi-même. On se dit : « Comment je vais me rendre au club ? Comment je vais faire mes transferts ? Il faut que je m’habille en vêtements de sport. » On pense que les clubs qui accueillent les personnes handicapées n’existent pas. Or, quand on cherche, on trouve. Après, certains médecins sont très prudents. Par exemple, à l’exception du médecin du centre de rééducation, aucun n’a voulu me faire ma licence, prétextant que le para-aviron était un sport trop violent. Mais je n’ai rien lâché.

* Cet article a déjà été publié dans le magazine Faire Face – Mieux vivre le handicap de mars-avril 2023 et mis à jour à l’occasion des jeux Paralympiques.

Claire Ghiringhelli en six dates
1978 : naissance à Paris.
2017 : opération de la moelle épinière.
2018 : découvre l’aviron handisport au club de Corbeil-Essonnes (91) en catégorie bras épaule P1.
2019 : premiers championnats de rance sur l’eau et en indoor et premiers podiums.
2022 : premières régates internationales et médailles de bronze en Italie et à Paris.
2024 : régate de qualification européenne à Szeged en Hongrie.

 

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