Jeux paralympiques Paris 2024 – Champions de l’autodérision

Publié le 7 septembre 2024 par Florent Godard
« De nombreuses situations prêtent à rire du handicap. Surtout dans le sport de haut niveau, où l’on pousse son corps à réaliser des performances qu’il n’est pas censé accomplir en temps normal. » Dimitri Jozwicki, vice-champion d’Europe du 100 m dans sa catégorie. 4e à Tokyo, 5e aux Jeux de Paris. © Tuan Nguyen

Côté pile, des médailles et des performances dans les stades. Côté face, des athlètes carburant à l’autodérision. En coulisses, rire de soi et de son handicap aide à la fois à décompresser, à renforcer le groupe, ou encore à dédramatiser certaines situations. Petit aperçu en compagnie de quelques figures du sport de haut niveau.

La scène se passe il y a quelques années, lors d’un championnat de France d’athlétisme handisport. Après une course, un sportif met du temps à remonter la fermeture éclair de son survêtement. Un geste du quotidien pas toujours simple pour une personne atteinte d’infirmité motrice cérébrale (IMC), comme ce sprinteur. De la tribune, un cri fuse : « T’arrives pas à fermer ton survêt’ ? T’es vraiment un sacré IMC ! »

Sourire complice de l’intéressé… qui visiblement connaît bien l’auteur de la boutade. Un humour pas toujours politiquement correct et une capacité à rire de soi fréquents chez les athlètes en situation de handicap. « Il y a beaucoup d’autodérision dans le monde du handisport », confirme le sprinteur Dimitri Jozwicki. Le vice- champion d’Europe du 100 mètres dans sa catégorie [Ndlr : arrivé cinquième en finale aux Jeux de Paris] se souvient ainsi de son premier déplacement sur un meeting avec l’équipe de France : « J’ai vu un sprinteur amputé des tibias chambrer un coureur en fauteuil roulant parce qu’il avait des petits pieds. L’autre lui a répondu du tac au tac : “Moi, au moins, je peux mettre des chaussures !” »

Taquiner et décompresser

« De nombreuses situations prêtent à rire du handicap, poursuit Dimitri Jozwicki. Surtout dans le sport de haut niveau, où l’on pousse son corps à réaliser des performances qu’il n’est pas censé accomplir en temps normal. » Atteint d’une tétraparésie qui limite la mobilité de ses quatre membres, lui n’est pas vraiment connu pour son endurance au sein de l’équipe de France. Il sait donc qu’on va le taquiner avant les entraînements collectifs axés sur les efforts à répétition, et seulement entrecoupés de courtes pauses.

Ses sprints sont aussi source de plaisanteries. En effet, pour compenser le manque d’amplitude lié à son handicap et à son petit gabarit « loin de celui du recordman du 100 mètres, le Jamaïcain Usain Bolt », l’athlète de 27 ans mise sur des foulées à haute fréquence. Un style et un tempérament un peu nerveux qui lui ont valu le surnom de “mitraillette”. Car si la vie du sportif de haut niveau reste avant tout focalisée sur la performance, l’humour, lui, contribue au relâchement. « Entre nous, on s’en sert comme d’un sas de décompression », commente Dimitri Jozwicki.

Mettre à l’aise les nouveaux venus

Cette ambiance potache aide aussi les petits nouveaux à se décontracter et à s’intégrer. C’est ce qu’a ressenti à ses débuts, dans les années 2000, Arnaud Assoumani, 38 ans, né sans avant-bras gauche et multimédaillé en saut en longueur aux jeux Paralympiques [Ndlr : 5e aux Jeux de Paris dans sa catégorie] . « En arrivant sur ma première grande compétition handisport, je ne savais pas à quoi m’attendre… En junior, j’étais avec des sportifs valides, et là, tout à coup, je me retrouvais, parmi des sportifs aux multiples handicaps. Très vite, j’ai été frappé par l’ambiance et par l’autodérision dont ils faisaient preuve. L’avantage, c’est qu’on peut se comprendre, il n’y pas de tabous entre nous », confiait-il à l’époque.

Arnaud Assoumani
L’humour envoie valser les tabous pour Arnaud Assoumani, multimédaillé en saut en longueur. 5é au saut en longueur à Paris. © Lionel Hahn/KMSP/France Paralympique

Dédramatiser des événements

Même intégration réussie pour le skieur Oscar Burnham, 25 ans, médaillé de bronze en slalom aux derniers championnats du monde, en 2023. « Je passe souvent par l’humour pour dédramatiser les événements. Et cela m’aide de voir que les autres sportifs prennent aussi beaucoup de choses à la rigolade », confie-t-il. Pour preuve, avant de devenir un athlète de niveau international, le skieur, qui utilise en compétition une prothèse de main, faisait déjà de son handicap un de ses sujets de plaisanterie favoris.
De même pour l’accident qui l’a provoqué : une électrocution puis une chute depuis le sommet d’un pylône électrique, sur lequel il s’était hissé pour prendre une photo, le soir où il fêtait son baccalauréat. « Sur mon lit d’hôpital, j’ai commencé par dire : “Mince, le bac m’a coûté un bras !” »

En slalom, Oscar Burnham file à la vitesse de l’éclair, même si l’électricité lui a déjà “coûté un bras” le soir où il fêtait l’obtention de son baccalauréat. © Grégory Picout

L’histoire nourrit aujourd’hui les “private jokes”, les petites blagues internes à l’équipe de France de ski alpin handisport. Quand le bus passe devant une centrale électrique, son compatriote Arthur Bauchet, 23 ans, triple champion paralympique en descente, lui glisse parfois une phrase du genre : « Tiens, une petite aire de jeux pour toi… »

Si cet humour grinçant passe bien, c’est aussi « parce que la plupart des athlètes ont déjà fait du chemin sur la voie de la résilience et sont donc tous plus ou moins à l’aise avec leur handicap », observe Dimitri Jozwicki. D’autant que les plaisanteries restent empreintes de « bienveillance », un terme qui revient dans la bouche de nombreux sportifs. « On se connaît bien, on sait qui vanner, sur quoi et à quel moment », insiste Oscar Burnham.

Se réapproprier des mots blessants

Dans le petit monde du sport, l’autodérision se pratique plutôt en interne, entre sportifs paralympiques et handisport. Idem pour cette façon de se chambrer en coulisses, très cash, quitte à employer parfois des mots durs pour se désigner. « On a tendance à se réapproprier les mots qui nous ont blessés pendant des années. Ces mots renvoyant au handicap avec lesquels certaines personnes valides nous ont mis de côté. Aujourd’hui, on les utilise pour en rire et se dire des vacheries », analyse Renaud Clerc, spécialiste du 1 500 mètres, atteint de paralysie cérébrale.

Étudiant à Sciences Po Paris, le jeune homme de 23 ans y voit un élément fédérateur. « Faire ces blagues entre nous revient en quelque sorte à leur dire : “Écoutez, nous sommes tout le temps dans votre monde. Là, il s’agit de notre espace, de notre cocon.” Une façon de nous fédérer en tant que groupe. Mais aussi de montrer qu’on est forts et qu’on ne se laisse pas écraser. »

Plaisanter pour mieux communiquer

Protéiforme, cet humour de vestiaires se moque d’ailleurs également des maladresses des personnes valides. « Entre nous, on rit souvent de comportements inadaptés, voire complètement hors sol, observés régulièrement. Comme quand quelqu’un s’étonne que je ne puisse pas ouvrir une porte avec ma main droite, alors qu’il sait que j’ai un souci de ce côté », note encore Renaud Clerc.

Mais loin des terrains d’entraînement et des pistes de championnats, plaisanter aide aussi les athlètes handisport à communiquer avec le grand public. Voire à faire passer des messages, en offrant une voie pour aborder des sujets sérieux plus facilement. « Cela contribue à dédramatiser le handicap et à briser les tabous. Quand tu ajoutes des pointes d’humour dans ton récit de vie, les autres s’identifient plus facilement à ton histoire. Bien plus qu’avec un discours moralisateur », constate ainsi Dimitri Jozwicki.

Et d’illustrer avec cette anecdote : « Quand je parle de ma naissance prématurée, par exemple – je ne pesais que 800 grammes -, je dis parfois qu’avec mon frère jumeau on était déjà sprinteurs dans l’âme… Et j’ajoute que, pour moi, c’était les soldes, car j’avais un handicap, contrairement à lui. Les gens, ça les fait rire, et en même temps, ils comprennent l’ampleur de ce que je suis en train de leur raconter. »

Son message quand il intervient pour des conférences en entreprises ? Rappeler qu’il est athlète de haut de niveau, ergothérapeute de métier, épanoui et heureux. Que son handicap « n’est qu’une composante parmi d’autres » de sa personnalité et qu’il faut cesser de renvoyer les personnes handicapées à leurs incapacités ou à leurs aides techniques.

Rire et se rapprocher des autres

Ce sens du second degré, poussé et vertueux, est-il réservé aux athlètes paralympiques et handisport ? Loin de là…« Il se retrouve dans le sport en général. Quand on s’inscrit dans un club, qu’on s’entraîne en groupe, on forme une bande de copains. Et qu’est-ce qu’on fait avec une bande de copains ? On rigole généralement les uns des autres, sur des différences physiques, ethniques ou culturelles dans le respect et la bienveillance », insiste Dimitri Jozwicki.

Oscar Burnham est bien d’accord : « On a tous besoin d’un groupe d’amis avec lesquels on se sent bien. Le sport, qu’il soit de haut niveau ou amateur, ça vous rapproche des autres. Une bonne ambiance, c’est le plus important. » De quoi donner envie de pousser la porte d’un club.

Parapotes, le compte Insta décalé de l’équipe de France de ski

Des sportifs amputés qui tentent un chifoumi impossible avec leurs moignons – « Zut ! Encore pierre contre pierre, toujours ex aequo ! » Puis, des commentaires amusés sur des chutes de ski sans gravité. Comme ce petit « Ouverture de la pêche aux fauteuils », pour introduire la vidéo d’un skieur en fauteuil qui termine sa descente dans les bâches. Le compte Instagram Parapotes emmène dans les coulisses de l’équipe de France de ski alpin handisport. Au quotidien.

L’un des derniers posts en date affiche la photo du skieur Hyacinthe Deleplace, médaillé aux jeux de Pékin en 2022, visage collé à l’ordinateur pour revoir une course, avec la mention : “Analyse vidéo façon malvoyant”. « Vis-ma-vie de déficient visuel », répond le sportif amusé. « C’est vraiment du second degré. On se moque souvent de nous-mêmes sans complexes », résume le skieur Oscar Burnham. Un petit aperçu de l’ambiance du sport paralympique (et de son humour) par le trou de la serrure.

 

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