Jeux paralympiques Paris 2024 – Hélios Latchoumanaya, parajudo : « Le handicap ne dresse pas de mur infranchissable »

Publié le 7 septembre 2024 par Claudine Colozzi
Champion d'Europe et du monde en 2022 et 2023, Hélios Latchoumanaya compte bien mettre ses adversaires au tapis pour les Paralympiques à Paris. Ici lors de sa victoire pour le bronze contre Zhanbota Amanzhol (Kazakhstan) à Tokyo, le 29 août 2021. © Y. Kellerman/CPSF

Médaillé de bronze aux jeux Paralympiques de Tokyo en 2021, Hélios Latchoumanaya est numéro 1 mondial des moins de 90 kg en parajudo. À 24 ans, ce judoka déficient visuel n’a qu’un objectif pour Paris 2024 : se hisser sur la plus haute marche du podium.*

Faire Face : Qu’est-ce qui vous a plu dans le judo quand vous avez enfilé un kimono, à l’âge de 7 ans ?
Hélios Latchoumanaya : De pouvoir me bagarrer gentiment avec mes copains en “pyjama sur un tapis” ! Plus sérieusement, de me dépenser et d’apprendre à me défendre. En m’inscrivant, ma mère avait sans doute perçu ce besoin d’extérioriser mon énergie débordante.

FF : C’était le premier sport que vous testiez ou vous en aviez déjà essayé d’autres ?
H.L : J’avais joué au football pendant un an, mais je n’avais pas trop accroché. Ensuite, j’ai pratiqué d’autres sports, comme le basket. Mais en fil rouge, il y avait toujours le judo.

Intègre le pôle Espoirs de Toulouse en 2014

FF : À quel moment avez-vous décidé de vous investir au-delà d’une pratique de loisir ?
H.L : À 10-11 ans, quand j’ai commencé à remporter des médailles départementales et régionales. J’adorais ça ! Vers 13-14 ans, on m’a proposé de participer à un stage de sélection. J’ai été pris et j’ai intégré le pôle Espoirs de Toulouse en 2014, quittant Tarbes et ma famille. J’ai commencé à pratiquer le judo tous les jours et ce rythme de vie, très centré sur du sport, m’a plu.

FF : Comment faites-vous pour concilier handicap et pratique sportive ?
H.L : Je suis atteint de rétinite pigmentaire, une maladie dégénérative. Je suis malvoyant, mais je me suis toujours entraîné avec des sportifs valides, comme aujourd’hui encore à l’Insep. J’ai commencé à entendre parler de parajudo quand j’ai intégré le pôle Espoirs. C’est là que j’ai rencontré Olivier Busnel, le responsable de l’équipe de France de parajudo à l’époque.

Sur un tatami, il n’y a pas de différence. Nous sommes tous sur le même pied d’égalité. »

FF : Est-ce que le sport a joué un rôle dans l’acceptation de votre handicap ?
H.L : La difficulté, c’est que ma maladie est évolutive et que je dois faire avec une lente aggravation. J’y vois de moins en moins. Mais j’ai toujours relativisé. Si un jour je dois perdre complètement la vue, je suis prêt, parce que je me sais bien entouré. Depuis quelques temps, j’utilise une canne de mobilité.

Mais sur un tatami, il n’y a pas de différence. Nous sommes tous sur le même pied d’égalité. Aucun de mes adversaires ne se dit : « Il faut y aller doucement avec lui ! » On se rentre dedans, on se fait tomber parce que c’est le judo qui veut ça. Entre compétiteurs, on ne se fait pas cadeau.

La hantise de perdre

FF : Vous supportez difficilement de perdre. D’où vous vient ce rapport à la défaite un peu compliqué ?
H.L : Ça vient de l’enfance ! Quand je jouais aux jeux de société avec mon arrière-grand-mère, elle me laissait souvent gagner contre l’avis de ma mère. (Rires.) En compétition, j’ai aussi la hantise de perdre. Dans un sport individuel comme le judo, quand on perd, on ne peut s’en prendre qu’à soi-même.

À ce sujet, je garde un souvenir mitigé de ma première participation aux jeux Paralympiques, à Tokyo, en 2021 : la joie de gagner une médaille de bronze et la déception d’avoir perdu en demi-finale, alors que je convoitais la plus haute marche. À présent, j’essaie d’analyser mes défaites et de comprendre où il faut que je m’améliore.

FF : Cette frustration aux Paralympiques de Tokyo vous fait aborder Paris 2024 dans quel état d’esprit ?
H.L : Il n’y a qu’une seule option pour Paris 2024, remporter une médaille d’or. Le fait que les Jeux se tiennent en France renforce l’envie de gagner et, pour me préparer dans les meilleures conditions, j’ai mis entre parenthèses mes études de journalisme. Même si j’ai besoin de me projeter dans ce futur métier, notamment dans le média radio que j’affectionne particulièrement.

FF : Vous avez rejoint la Team Athlètes APF France handicap le 30 janvier 2024. Quel regard portez-vous sur le statut de sportif de haut niveau ?
H.L : Le soutien d’APF France handicap est précieux pour le mental. C’est important de savoir qu’il y a des gens qui comptent sur nous et qui nous encouragent. J’ai aussi la chance d’avoir pu intégrer l’équipe de Handiamo, une agence qui accompagne, dans leur carrière, les sportifs de haut niveau en situation de handicap.

Continuer d’aider les athlètes après les Jeux

La préparation physique ne suffit pas, il faut trouver des mécènes, car nous sommes très peu à avoir des revenus suffisants. Les jeux Paralympiques ont généré beaucoup de partenariats. Mais après ? J’espère que le soufflé ne retombera pas, qu’on continuera à parler de parasport et à aider les athlètes.

Je ne renonce jamais. J’essaie de contourner les obstacles »

FF : Vous sentez-vous une responsabilité vis-à-vis de la jeune génération ?
H.L : J’ai fait beaucoup d’interventions en milieu scolaire pour parler de sport, de la vie de sportif de haut niveau, mais surtout, pour sensibiliser au handicap. Je trouve qu’on évite souvent le sujet. Les adultes ne l’évoquent qu’avec des pincettes. Les jeunes, eux, ne tournent pas autour du pot. Ils me posent plein de questions, tant sur la vie quotidienne que sur le sport.

Ce que je veux transmettre, c’est que le handicap ne dresse pas de mur infranchissable. Je ne renonce jamais, j’essaie juste de contourner les obstacles.

FF : Que dites-vous pour convaincre une personne handicapée de pratiquer une activité physique ?
H.L : N’aie pas peur ! Ni de ce que les autres disent, ni de ce qu’ils pensent. Il faut oser pousser la porte d’un club. Et si celui-là ne te plaît pas, en essayer un autre. Il suffit de trouver le bon endroit, les bonnes personnes… Faire du sport va te libérer, te permettre de t’évader, de penser à autre chose… Mais aussi d’échanger avec des gens que tu n’aurais jamais rencontrés. Ne te mets pas de pression pour devenir un champion. Dis-toi simplement que tu vas passer un bon moment !

* Cette interview de Hélios Latchoumanaya a déjà été publiée dans le magazine Faire Face – Mieux vivre le handicap de mai-juin 2024 et mis à jour à l’occasion des jeux Paralympiques.

Hélios Latchoumanaya en six dates
4 juin 2000 : naissance à Tarbes (65).
2017 : médaille d’argent aux championnats d’Europe IBSA à Walsall (Royaune-Uni).
2018 : intègre le pôle France de judo à l’Insep.
2021 : médaille de bronze aux jeux Paralympiques de Tokyo.
2022 : médaille d’or aux championnats d’Europe IBSA à Cagliari (Italie) et aux championnats du monde à Bakou (Azerbaïdjan).
Février 2024 : médaille au Grand Prix IBSA à Heidelberg (Allemagne).

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