Fin des Ad’ap : la France inaccessible et hors-la-loi

Publié le 26 septembre 2024 par Franck Seuret
Pour Pascale Ribes, présidente d'APF France handicap, « il n’est pas normal que la société française tolère que certaines personnes soient mises de côté et empêchées en raison de l'inaccessibilité ».

Ce 26 septembre, sauf exceptions, les derniers Agendas d’accessibilité programmée (Ad’ap) arrivent à échéance. Les quelque deux millions d’établissements recevant du public (ERP) existants devraient donc tous être accessibles… mais c’est loin d’être le cas. Dans la plus parfaite illégalité, très souvent.

Après la parenthèse “enchantée” des jeux Paralympiques, retour à la réalité pour les citoyens français handicapés. Ce jeudi 26 septembre 2024 aurait pourtant pu être un nouveau jour de fête. Celui où la France aurait enfin achevé la mise en accessibilité de ses établissements recevant du public, les ERP.

Les Ad’ap pour du temps supplémentaire

Regard dans le rétroviseur. La grande loi handicap de février 2005 avait en effet gravé dans le marbre l’obligation de rendre accessible tous les ERP existants d’ici 2015. En 2014, face à l’évidence que  l’échéance n’allait pas été respectée, le Gouvernement de François Hollande décide d’accorder du temps supplémentaire aux gestionnaires d’établissements sous réserve qu’il déposent un Ad’ap en préfecture.

Neuf ans de plus pour les grands parcs d’ERP

Leur agenda d’accessibilité programmée les engageait alors à réaliser les travaux de mise au normes dans un délai imparti :

– 3 ans maximum pour les ERP de 5e catégorie (boulangeries, cabinets médicaux , etc.), donc avant le 26 septembre 2018 ;
– 6 ans maximum pour les ERP de 1ère à 4e catégorie (cinémas, stades, etc.), jusqu’au 26 septembre 2021 ;
– 9 ans maximum pour les gestionnaires d’au moins 50 ERP (banques, chaînes de magasins ou de restaurants… ) et les monuments historiques. Soit aujourd’hui, 26 septembre 2024.

De « rares indicateurs »

Alors, neuf ans après la première date butoir de 2015, et alors que les nouveaux délais impartis sont épuisés, quel est le bilan ? «  Les rares indicateurs dont nous disposons montrent que l’accessibilité des ERP est loin d’être une généralité », constate Nicolas Mérille, conseiller national accessibilité d’APF France handicap.

Des dérogations légales à la mise aux normes

Sur les quelque deux millions d’ERP recensés, au doigt mouillé, par les services de l’État, 350 000 étaient déclarés accessibles avant 2015. Et 700 000 se sont engagés dans un Ad’ap. 950 000 seraient donc hors-la-loi, car ni accessibles ni sous Ad’ap.

De plus, avoir déposé un Ad’ap ne signifie pas être accessible. Les demandes de dérogation, pour des raisons techniques ou économiques essentiellement, sont en effet comptabilisées dans ces 700 000 Ad’ap enregistrés en préfecture. Sans oublier que les services de l’État ne vérifient pas si les travaux ont bien été menés. 

Des boutiques de quartier dans l’illégalité

« Le pourcentage d’établissements accessibles est donc certainement très inférieur à la moitié des deux millions d’ERP existants, poursuit Nicolas Mérille. Les grands groupes, comme les banques ou les chaînes, semblent avoir plutôt joué le jeu. Pour des raisons d’image, notamment. Mais parmi les petits ERP de quartier, beaucoup sont dans l’illégalité. Soit qu’ils n’aient jamais déposé d’Ad’ap, soit qu’ils ne l’aient pas respecté. »

Pas de sanctions jusqu’à présent

Comment pourrait-il en être autrement alors que les contrevenants ne risquent pas grand chose ? Plus de six ans après l’arrivée à échéance des premiers Ad’ap, l’État n’a toujours pas engagé de politique punitive. « On fera un bilan en 2024 et il faudra à ce moment-là envisager un système de sanction », expliquait Emmanuel Macron, lors de la conférence nationale du handicap, en avril 2023.

Un soutien financier très tardif

Quant aux incitations, elles n’ont été mises en place que bien tardivement, dans la foulée de cette conférence. Un Fonds territorial d’accessibilité, piloté par les préfets, a vu le jour en novembre 2023. Les petits ERP privés (5e catégorie) disposaient d’une enveloppe de 100 millions d’euros de subventions en 2024.

Fin août 2024, selon Olivia Grégoire, la ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, seulement 500 dossiers avaient été déposés. Les 100 millions d’euros ont donc à peine été consommés. Un échec imputable, sans doute, à un manque de communication. Reste à savoir si ce Fonds survivra aux mesures d’économie que le Gouvernement Barnier s’apprête à prendre.

« Ségrégation volontaire »

« Il n’est pas normal que la société française tolère que certaines personnes – ça vaut aussi pour les seniors – soient mises de côté et empêchées en raison de l’inaccessibilité, tonne Pascale Ribes, présidente d’APF France handicap. Cette ségrégation volontaire doit s’arrêter. »

Jusqu’à six ans de plus encore

Le 26 septembre ne sonne pas la fin des Ad’ap pour tous les gestionnaires de parcs d’ERP. Certains ont en effet demandé et obtenu une prorogation d’un an en justifiant de difficultés techniques ou économiques. Voire de trois ans, renouvelable une fois, en argumentant d’un cas de force majeur… comme la crise sanitaire du Covid-19.

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