Garder sa mémoire vive

Publié le 7 novembre 2024 par Sophie Massieu
Synaptic transmission. Structure of a typical chemical synapse. 3D illustration
Les synapses, points de contact entre les neurones, établissent de nouvelles connexions au moment de la mémorisation. Cette plasticité diminue avec l'âge. © AdobeStock

Oublier, c’est normal, surtout l’âge avançant. Mais lorsque les neurones s’emmêlent et que le comportement change, cela peut être le signe d’une maladie. Identifier ce qui doit alerter, consulter, mais aussi agir pour prévenir et ralentir les troubles cognitifs : autant de mesures pour prendre soin de sa mémoire.

Perdre ses clés, se tromper dans une date de rendez-vous, chercher en vain le titre d’un film que l’on a pourtant tellement apprécié… De tels trous de mémoire nous arrivent à tous, plus ou moins souvent. « Il est normal d’oublier, rassure le professeur Frédéric Blanc, gériatre et neurologue, chef de service aux hôpitaux universitaires de Strasbourg*. Heureusement, même, que l’on ne se souvient pas de tout, car cela encombrerait notre cerveau. »

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, oublier témoigne donc, jusqu’à un certain point, d’une bonne santé cognitive. D’autant que la mémoire ne s’apparente pas à un tiroir bourré d’informations entassées au fil des ans. « On ne stocke rien. On rassemble des bribes, un lieu, un moment, une impression… Puis, avec tout ça, on reconstitue le souvenir qui, alors, remonte à la surface », explique Catherine Thomas-Antérion, neurologue et membre de l’Observatoire B2V des mémoires. Avant d’ajouter : « Reste que tous les scientifiques ne s’accordent pas sur la façon dont la mémoire s’organise. »

Cinq grands types de mémoire

Pour simplifier, on considérera donc qu’elle se divise en cinq grands réseaux de neurones interconnectés. Car ce qui fait consensus, c’est l’existence de différents types de mémoire. La première, appelée mémoire de travail, est celle du court terme, qui permet de retenir et manipuler des informations le temps d’effectuer une tâche. Viennent ensuite la mémoire sémantique et la mémoire épisodique, toutes deux à long terme. Elles concernent le langage et les connaissances pour l’une, les événements personnels avec lesquels nous nous situons dans le temps et l’espace pour l’autre. Tandis que la mémoire procédurale se rapporte à nos automatismes – conduire, jouer de la musique sans avoir à réapprendre – et que la mémoire perceptive est celle qui fait intervenir nos sens. Fonctionnant souvent à notre insu, cette dernière nous donne la possibilité de reconnaître des lieux, des visages, des voix…

Quand les circuits se grippent…

Ces circuits, dont l’activité électrique traduit l’acheminement des informations, peuvent malheureusement se gripper. Lorsqu’une perte de mémoire surgit, explique ainsi le professeur Blanc, elle résulte soit du dysfonctionnement de plusieurs neurones, comme dans la maladie à corps de Lewy, soit de leur destruction, comme dans la maladie d’Alzheimer. Chez les personnes traumatisées crâniennes, troisième modalité possible de trouble, il s’agit d’atteintes des fibres du neurone. Des sortes de coupures sont intervenues et la reconnexion n’a pas été optimale. Les axones des neurones, c’est-à-dire la partie de ces cellules que l’on pourrait comparer à un fil électrique, peuvent aussi subir des inflammations, comme en cas de sclérose en plaques. La conduction, là, s’en trouve altérée.

Ainsi, qu’elle soit liée à la mémoire à court terme ou aux connaissances acquises, en cas de “trou de mémoire”, l’information recherchée n’a pas disparu. Elle est comme un fichier sur un disque dur que l’on n’arrive pas à retrouver. Mais le type d’oubli, lui, peut orienter vers une zone du cerveau plutôt qu’une autre, selon son implication dans telle ou telle mémoire. « Lorsqu’on ne parvient plus à reconstituer un événement, même quand des éléments de contexte nous sont fournis, cela peut indiquer que l’hippocampe n’a pas fait son travail de conservation des traces de souvenirs, illustre Catherine Thomas-Antérion. Cela peut être symptomatique d’une maladie neurologique, l’épilepsie par exemple. »

Ces signaux qui doivent alerter

Mais, très souvent, ce que l’on qualifie de pertes de mémoire résulte en réalité de défauts d’attention. Ce d’autant que le lobe frontal de notre cerveau, très sollicité par la mémoire à court terme, est « très fragile », indique Catherine Thomas-Antérion. Il est sensible à la fatigue, au stress, à l’absorption de toxiques…

Dès lors, quels signaux doivent donner l’alerte ? D’abord, perdre jusqu’au souvenir de ses oublis. « Comme chez les malades d’Alzheimer, dont ce sont souvent les proches qui demandent à consulter un neurologue », observe Maï Panchal, directrice générale et scientifique de la fondation Vaincre Alzheimer. Ensuite, insiste Frédéric Blanc, il est normal d’observer une petite baisse du volume cérébral après 60-70 ans. Moins de neurones, c’est moins de mémoire. Deux choses doivent ainsi attirer l’attention, comme l’indique Catherine Thomas-Antérion : « D’abord, un changement du fonctionnement de la personne, puis la fréquence des troubles. » Aussi convient-il de consulter son médecin traitant en cas de doute. Il pourra orienter vers une consultation mémoire, assurée par un neurologue, un gériatre ou encore un psychiatre en ville, ou à l’hôpital.

Des causes qui peuvent être multiples

Ce professionnel de santé commencera par une prise de sang, pour éliminer d’autres causes de troubles de la mémoire, comme le manque de calcium, l’anémie, certains problèmes de reins ou du foie… Ensuite, une IRM cérébrale pourra être réalisée, permettant de vérifier l’existence de lésions ou la perte de volume cérébral. Un interrogatoire précis du patient, voire de ses proches, complète le diagnostic. Pour repérer des problèmes d’anxiété, de dépression, d’apnée du sommeil… Enfin, un examen clinique orientera vers la présence ou non d’un syndrome parkinsonien ou d’autres symptômes de maladies neuro-évolutives.

Dans tous les cas, la prévention aide à ralentir la progression d’un trouble et à lutter contre les effets du vieillissement. « Mais le cerveau n’est pas un muscle, donc il n’y a pas d’exercice type pour l’entraîner à mémoriser », relève Catherine Thomas-Antérion, qui voit une forme de business dans les ouvrages faisant de telles promesses. De plus, pointe Frédéric Blanc, notre « réserve cognitive » diffère selon notre niveau socio-culturel.

Des astuces pour alléger la charge mentale

Mais certains moyens de prévention génériques, comme la lutte contre l’hypertension, l’obésité, le diabète et le tabagisme, s’avèrent efficaces. Veiller à une bonne santé auditive et visuelle apparaît aussi précieux, car le lien social reste capital pour continuer d’interagir et ainsi préserver sa mémoire. Soigner son alimentation ou encore ralentir un rythme de vie trop intense, compte également. Ne pas hésiter, non plus, à écrire des pense-bêtes pour diminuer sa charge mentale et à décomposer les tâches, en cochant ce qui a été accompli, ce qui reste à mener à bien… « Établir une liste permet de lutter contre la fatigue qui, justement, peut causer des troubles de l’attention, donc de la mémoire », appuie Catherine Thomas-Antérion.

Et pourquoi pas s’offrir des récréations ? Faire de l’exercice diminue de 30 % le risque de déclin cognitif, selon Maï Panchal, qui insiste sur l’importance de la régularité plus que de l’intensité. Sa recommandation : une heure de marche par jour, ou une activité physique similaire en cas de mobilité réduite. Bouger son corps pour stimuler son esprit.

* Il est également coordonnateur du Centre de mémoire, de ressources et de recherche de Strasbourg, et membre du laboratoire ICube, des sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie.

 

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