[Lecture] Elvire Cassan, L’Odyssée des Dys : « Ce n’est pas normal que l’école continue d’abîmer des enfants »
Sept millions de personnes en France sont concernées par les troubles dys. Journaliste, Elvire Cassan est maman d’une fillette multidys âgée de 9 ans. Dans L’Odyssée des Dys, elle mêle récit personnel et enquête pour mettre en lumière la réalité de ce handicap. Elle dénonce la lenteur du diagnostic et de la prise en charge, le manque d’ouverture de l’Éducation nationale et les méandres de l’administration. Posant un autre regard sur ces enfants encore trop souvent humiliés et rejetés, elle souhaite que son livre apporte espoir et réconfort.
Faire-face.fr : À qui s’adresse ce livre qui combine votre histoire personnelle et un état des lieux des troubles dys ?
Elvire Cassan : La partie plus personnelle, je l’ai écrite pour ma fille Judith. Je lui ai d’ailleurs lue pour qu’elle me donne son avis. Mais ce livre se situe aussi dans le continuité de mon documentaire audio Une vie de dys. J’aimerais qu’on comprenne mieux la réalité des familles d’un enfant dys. On n’imagine pas l’investissement, le temps, le coût financier que cela implique. C’est toute une vie qui se trouve impactée. Et encore, je n’ai pas évoqué les répercussions sur le couple ou sur la fratrie. Ça secoue très fort !
Des cas particuliers et beaucoup de points communs
F-f.fr : Avant la journaliste, c’est d’abord la maman qui parle et raconte un parcours jalonné de doutes, de remise en question, de peurs…
E.C : Je suis partie de notre histoire. Même si chaque parcours, et surtout chaque enfant, est différent, en échangeant avec beaucoup d’autres mamans, il y a des choses qui se recoupent. On passe par les mêmes étapes. Les premiers signaux, les premières constatations, les premières alertes aux enseignants pas entendues…
Viennent ensuite les délais pour obtenir des rendez-vous, la lenteur pour poser un diagnostic. Et puis, on se projette très tôt sur l’orientation professionnelle alors qu’ils sont tout jeunes. Le brevet, le bac… Enfin, on se dit que ce serait bien que notre enfant se trouve une passion, un point d’ancrage pour persévérer. Mais la réalité nous rattrape. Les apprentissages qui demandent plus de temps, les inquiétudes…
Un handicap invisible et silencieux
F-f.fr : L’année dernière, celle du CE2, a été particulièrement difficile. Vous racontez l’expérience du pouf qui est révoltante. Vous avez eu un déclic à ce moment-là ?
E.C : Malgré la réunion pour les adaptations, l’institutrice ne voulait pas faire d’efforts. Elle avait instauré un système selon lequel quand elle percevait de la fatigue chez ma fille, elle l’envoyait sur un pouf au fond de la classe. Et là, elle n’y prêtait plus attention. Judith se sentait ignorée, délaissée. Elle perdait confiance en elle.
Un matin de juin, elle m’a dit qu’elle n’arrivait plus à marcher. Elle avait très mal aux genoux. Nous avons fait une batterie d’examens. Tout était normal mais elle ne voulait pas lâcher les béquilles prescrites par le médecin. On lui disait qu’elle n’avait rien mais elle s’accrochait. Il a fallu attendre les vacances pour qu’elle les abandonne. Après cet épisode très douloureux, nous avons décidé de la changer d’école.
F-f.fr : Quelle signification a pour vous cet épisode de somatisation ?
E.C : Il est révélateur de son mal-être à l’école. Elle souffre d’une anxiété de performance. Elle a peur de l’échec. Ces béquilles, c’était aussi une façon de rendre visible son handicap et de dire, à sa façon, combien elle souffrait de cette situation. Les autres enfants perçoivent bien la différence, matérialisée par les rendez-vous auxquels elle doit se rendre et qui la font s’absenter de la classe à certains moments. À cet âge-là, c’est encore plus criant, car on veut être comme tout le monde.
La précarisation des mères d’enfants dys
F-f.fr : Vous évoquez la culpabilité qui pèse sur les épaules des mères. On vous a accusé d’être trop fusionnelle, trop protectrice, trop exigeante envers votre enfant…
E.C : C’est encore assez ancré. On en prend plein la figure. Combien de fois ai-je entendu : « Vous l’avez trop couvée ! » Il faut passer outre. Mon mari est aussi dyslexique, ce qui me permet de relativiser ma possible responsabilité dans les troubles de ma fille. Mais il est évident que la charge mentale est importante et qu’il faut s’armer de patience. L’enseignante du pouf ne s’est jamais remise en question.
F-f.fr : Les mères sont souvent en première ligne. Une réalité dans le monde du handicap ?
E.C : Je ne peux que le constater. Depuis la sortie du livre, je fais des signatures dans des salons et je ne rencontre que des mères. C’est une réalité qu’on ne peut pas occulter. Elles ont la charge du parcours de soins lourd à gérer. Et s’occuper de leurs enfants les précarise. Les employeurs ne comprennent pas qu’elles doivent s’absenter ou qu’elles doivent partir plus tôt pour les rendez-vous médicaux. Certaines se mettent à mi-temps. Et parfois les couples explosent, les pères quittent le foyer.
La pénurie d’orthophonistes toujours en question
F-f.fr : Finalement, quand on n’est pas concernés, on ne sait pas trop en quoi consistent les troubles dys. Quelle est la principale idée reçue ?
E.C : On pense souvent que ce sont des enfants qui ne font pas d’efforts ou qui sont fainéants. Car la plupart des personnes ignorent que le dénominateur commun de tous les troubles dys est un dysfonctionnement au niveau cérébral qui engendre une déficit cognitif.
F-f.fr : La Nouvelle stratégie nationale 2023-2027 pour les troubles du neurodéveloppement permet-elle un meilleur repérage et diagnostic notamment pour les 7-12 ans ?
E.C : Depuis quelques années, avec la mise en place des évaluations nationales, on repère mieux ces enfants, notamment les faibles lecteurs. Certains enseignants alertent les familles, d’autres pas. C’est là le point d’achoppement. Mais, même si on repère mieux, le problème c’est le manque d’orthophonistes, le professionnel au cœur de tous ces troubles. On ne cesse de le clamer. L’une d’entre elles me racontait qu’elle avait reçu 127 appels dans une même journée. Les délais sont insupportables, entre six mois et un an, voire plus, pour obtenir un rendez-vous. Ne pas augmenter le numerus clausus est un choix politique.
Des méthodes d’enseignement inadaptées
F-f.fr : À quelques semaines des 20 ans de la loi handicap de 2005, à quoi aspirez-vous ? Une école davantage inclusive ?
E.C : Ce mot m’énerve car aujourd’hui, les enfants sont juste accueillis. Il faudrait changer les méthodes d’enseignement. Pas forcément de la pédagogie différenciée car, dans une classe, il peut y avoir plusieurs enfants porteurs de troubles du neurodéveloppement. Je pense que l’accès universel aux apprentissages serait favorable à tous les élèves.
Rien n’a changé depuis des années. Les manuels sont toujours les mêmes, les outils du numérique ne sont pas suffisamment pris en compte. Il faut davantage de formation des enseignants. Ce n’est pas normal que l’école continue d’abîmer des enfants, de les humilier en leur disant qu’ils sont nuls. Certains enseignants continuent de noter sur les cahiers d’enfants dont ils savent qu’ils sont dys : « Écris comme un cochon. »
F-f.fr : Vous terminez votre ouvrage par des portraits de personnes dys, célèbres et anonymes, qui ont tracé leur chemin. Vous les avez pensés, pour reprendre votre expression, comme des « balises lumineuses » pour les familles qui doutent ?
E.C : Oui, j’ai eu envie de montrer qu’il est possible de s’en sortir malgré les difficultés. J’ai cherché des personnalités dans lesquelles les personnes pourraient se projeter, comme le journaliste Thomas Legrand ou la comédienne Pauline Clément, mais aussi des anonymes avec des parcours plus simples. Je voulais refermer le livre sur une note d’espoir, dire qu’un avenir est possible. Et montrer que, derrière chaque parcours, il y a toujours un entourage présent pour donner confiance.
L’Odyssée des Dys, Elvire Cassan, éd. Stock, 2024, 279 p., 20,50 €.
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