[Série 3/3] « La meilleure audiodescription, c’est celle qui sait se faire oublier »
Choix du vocabulaire, des informations utiles à transmettre, respect de la bande-son originale du film… Marie-Laure Abonneau est relectrice collaboratrice en audiodescription. Aveugle, elle considère sa cécité comme un atout pour garantir une audiodescription adaptée aux besoins réels des déficients visuels. Et regrette que les films ainsi rendus accessibles soient encore trop peu diffusés.
Faire-face.fr : Pour vous, les relectures des audiodescriptions par une personne aveugle ou malvoyante s’avèrent indispensables. Qu’apportent-elles ?
Marie-Laure Abonneau : La bonne dose d’informations, d’abord. En effet, la bande-son permet de percevoir, même sans les voir, certaines actions. Il est donc inutile de les décrire puisque les spectateurs aveugles ou malvoyants ont l’habitude de décrypter les informations auditives. Il ne sert à rien par exemple d’indiquer « il claque la porte » ou « il grommelle ».
Pire, certaines informations peuvent induire en erreur. En particulier lorsqu’elles amènent sur une fausse piste ou à se poser des questions inutiles. Savoir qu’un homme cligne de l’œil alors qu’il est au volant ne sert à rien. Cela peut amener à se demander pourquoi, à imaginer qu’il va y avoir un accident…
L’audiodescription ne doit ni expliquer le film, ni lui faire écran, mais s’y incorporer. La meilleure audiodescription, c’est donc celle qui se fait oublier. Celle qui trouve un juste équilibre, pour laisser vivre la bande-son du film, qu’une audiodescription trop bavarde finirait par masquer.
Je pose en revanche beaucoup de questions sur les expressions du visage des personnages, car là, la même bande-son ne donne aucune explication. Pour autant, être aveugle n’a pas suffi à faire de moi une relectrice collaboratrice d’audiodescription. Je me suis formée dans une société de post-production, Titrafilms, et ma prestation est rémunérée.
F-f.fr : À quel moment intervenez-vous et de quelle façon ?
M-L.A : En règle générale, l’auteur de l’audiodescription m’appelle lorsqu’il est en train de l’écrire pour que nous convenions du moment où nous allons nous retrouver. Une fois rédigée, il me la soumet en direct, en projetant le film, et en lisant son texte aux “time codes” adéquats : le texte doit se glisser sur les plages dépourvues de dialogues. Je l’arrête quand je n’ai pas compris, ou pour vérifier que ce que je comprends est conforme à ce qu’il voit sur l’écran.
Je dois aussi veiller à ce que l’audiodescription soit compréhensible par tout le monde. Le choix des mots est donc très important. Je me souviens par exemple d’un film sur Aliénor d’Aquitaine. Se posait la question de savoir si on utilisait, ou non, le nom de sa coiffe spécifique ou un terme générique, que nous avons au final retenu.
F-f.fr : Comment améliorer l’accès des déficients visuels au cinéma ?
M-L.A : Il faudrait que le système se déploie au-delà des seuls films français, que la relecture devienne obligatoire, et que ce soit toujours une personne aveugle ou malvoyante qui la fasse. Surtout, j’espère que l’intelligence artificielle ne réalisera pas ce travail de description ni même de lecture des textes avec une synthèse vocale, sans émotion.
Produire des audiodescriptions, c’est super ! Mais les voir diffusées dans les cinémas, c’est encore mieux ! Or, tous ne le font pas, loin de là. Il convient donc de former les diffuseurs et techniciens à l’importance de ce dispositif et à la façon de faire fonctionner les équipements.
[Série 1/3] Accès au cinéma des déficients visuels : l’audiodescription souvent muette
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