1939-1945 : bientôt un monument pour les victimes mortes de faim ?
L’historien Jean-Pierre Azéma propose d’ériger un monument à la mémoire de toutes les victimes civiles de la seconde guerre mondiale. Cette proposition déçoit Charles Gardou. Cet universitaire avait lancé la pétition demandant la création d’un mémorial dédié aux 45 000 personnes handicapées mortes de faim, dans les hôpitaux psychiatriques, en France, de 1940 à 1945.
« Aux victimes civiles mortes de faim et de froid dans l’indifférence, durant l’occupation. » Dans un rapport officiel, rendu public mardi 20 octobre, le président du Comité scientifique de la mission du 70e anniversaire de la seconde guerre mondiale, Jean-Pierre Azéma, propose d’ériger un « monument dédié à la mémoire de toutes les victimes civiles dans la France prises dans sa totalité ». Dont les 45 000 personnes internées dans les asiles psychiatriques, mortes de faim durant ces années noires.
Plus de 80 000 signataires pour la mémoire des personnes handicapées mortes de faim
Fin 2013, l’anthropologue Charles Gardou avait lancé une pétition pour obtenir la création d’un mémorial qui leur serait consacré. Plus de 80 000 personnes l’avaient signée. Et en février 2015, François Hollande lui avait écrit : « Je partage votre volonté (…) qu’à ce délaissement, la République n’ajoute pas le silence de l’oubli. » Dans la foulée, le gouvernement avait confié à Jean-Pierre Azéma une mission sur « le drame que les personnes handicapées mentales ou malades psychiques ont connu dans les hôpitaux psychiatriques et les hospices français entre 1941 et 1945 ».
Un monument « d’une facture la plus simple possible »
Cet historien avait notamment été chargé d’éclairer les pouvoirs publics sur les gestes mémoriels. Il propose donc l’érection d’un monument, « d’une facture la plus simple possible », à Paris, sur le parvis des droits de l’Homme. Mais « ce signe mémoriel pourrait ne pas s’en tenir au drame vécu par les seuls malades mentaux. Il me paraît en effet préférable d’élargir le propos ». Voilà pourquoi il suggère de le dédier « à toutes les victimes civiles mortes de faim et de froid dans l’indifférence, durant l’occupation. »
Commémoration officielle le 3 décembre ?
Pour rendre un hommage plus spécifique aux 45 000 malades mentaux, une plaque pourrait être apposée « à l’entrée de ceux des hôpitaux psychiatriques qui furent en service durant la guerre ». Enfin « une commémoration officielle de “l’hécatombe” pourrait se faire, lors de la journée nationale des personnes en situation de handicap ». Sans doute le 3 décembre, journée internationale du même nom… puisqu’il n’existe pas de journée nationale.
Le sort des plus fragiles noyé « dans le général »
Les conclusions de Jean-Pierre Azéma ne satisfont pas Charles Gardou : « Sa proposition de mémorial dédiée à toutes les victimes civiles noie la problématique du sort des plus fragiles dans le général. Sous prétexte d’ “élargir le propos”, peut-on ainsi affirmer que les quelque 250 000 victimes civiles sont toutes mortes de faim et de froid dans l’indifférence, comme ce fut le cas des personnes malades et/ou handicapées internées ? Pourquoi refuser de reconnaître le sort singulièrement cruel des victimes internées ? La proposition de plaques commémoratives à l’entrée des hôpitaux psychiatriques concernées apparaît comme un pis-aller. Ce rapport va à l’encontre même de l’esprit qui a animé notre démarche. » Franck Seuret
Une responsabilité partagée
Qui est responsable de la mort des 45 000 malades mentaux internés dans les hôpitaux psychiatriques ? L’historienne Isabelle von Bueltzingsloewen, auteur de l’Hécatombe des fous, « a raison de soutenir qu’il n’existe aucune directive qui prouverait que le régime de Vichy a bien eu l’intention d’éliminer les malades mentaux », écrit Jean-Pierre Azéma.
Selon lui, « c’est bien la politique systématique de prélèvements considérables pratiqués par l’occupant allemand qui rend la situation alimentaire dramatique. Si les carences du régime de Vichy sont réelles – acceptation beaucoup trop passive des exigences de cet occupant, absence d’intérêt suffisamment marqué à l’égard des malades mentaux – elles n’ont pas joué un rôle moteur. Et ce d’autant plus qu’il ne faudrait pas sous-estimer l’importance de la rupture du lien social. »
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