Photographie : Barcelone à hauteur de fauteuil roulant
Jusqu’au 20 décembre, à Paris, l’exposition Autopropulsión donne à voir une série de photographies de Barcelone prises en 2006 par Flora Coll. Mais à travers la ville catalane, affleurent un autoportrait alerte de l’artiste en fauteuil roulant et une invitation à une course fiévreuse face au temps qui passe.
Vous entrez dans la galerie parisienne Schumm-Braunstein et vous êtes à Barcelone, mais vous n’en savez rien. Sur les 23 photos diurnes ou nocturnes de Flora Coll, issues de sa série Autopropulsión, ne cherchez pas la plage ou la Sagrada Familia. Tantôt des fragments de silhouettes, des lignes indistinctes à l’horizon ou au bord du cadre, se détachent sur la blancheur presque aveuglante des clichés surexposés. Tantôt, des lampadaires ou des néons éclairent des couples égarés, un mannequin ou des lèvres géantes dans une vitrine.
La ville est en contre-plongée, floue et décadrée. Pourtant la photographe ne vous invite pas à une contemplation impressionniste, mais à une course de vitesse fiévreuse. Une course à hauteur de fauteuil roulant.
Sensation d’immersion
En 2006, après une longue hospitalisation, Flora Coll ressort à l’air libre, mais se retrouve en fauteuil roulant. Jusque-là photo-reporter en Amérique du Sud, puis à Madrid – notamment pour El Pais, la photographe franco-catalane décide alors d’aller à Barcelone pour s’y installer et photographier autrement.
Accompagnée, elle mitraille la ville à perdre haleine, libérée du souci de propulser elle-même son fauteuil. Ses photos tremblées reflètent à la fois son état de faiblesse et l’excitation du retour à la vie, mais trahissent aussi les accidents de parcours. On l’imagine très bien ne déclencher son appareil qu’au gré des cahots du fauteuil – rebords de trottoirs, mobilier urbain ou balustrades infranchissables.
Plein champ et très discrètement encadrées, les photos s’enchainent cependant avec fluidité : une narration affleure en contrepoint à leur esthétique presque abstraite. Résultat ? Pour le visiteur, une formidable sensation d’immersion, un sentiment rare d’empathie. En fauteuil ou non, l’impression d’épouser le point de vue de l’artiste.
Regard à la bonne hauteur
« À l’occasion de la journée internationale des personnes handicapées ,le 3 décembre, nous avons souhaité un accrochage à hauteur de fauteuil roulant », explique Évelyne Schumm, la directrice de la galerie. Même si le lieu se situe dans une rue aux trottoirs très étroits, elle met un point d’honneur à être accessible grâce à deux rampes amovibles. Évelyne Schumm rend aussi cette exposition véritablement adaptée, en abaissant, jusqu’au 13 décembre, plus de la moitié des photographies de 45 centimètres. Non seulement, le regard de la photographe et celui du visiteur en fauteuil se retrouvent sur un pied d’égalité, mais encore est ainsi subtilement suggérée à quel point notre position dans l’espace infléchit notre vision du monde.
Ivresse d’une course folle en fauteuil roulant
Nulle mention du modèle de l’appareil avec lequel Flora Coll a pris ses photographies. En revanche, selon le souhait de l’artiste décédée en 2008 d’un myélome multiple, au revers de la couverture du beau catalogue qui accompagne l’exposition, figure la fiche d’identité complète de son fauteuil roulant. Comme s’il était le véritable médium qui lui avait servi à capter cette image hyper subjective de la ville.
Au-delà de sa dimension presque expérimentale, la série Autopropulsión, à sa manière documentaire et plasticienne, restera dans les mémoires avant tout comme un hymne à l’ivresse d’une course folle à travers la ville, et à l’urgence de saisir le temps qui passe. En fauteuil roulant ou pas. Bastien Gari – Photos DR
Exposition Autopropulsión, Flora Coll
Galerie Schumm-Braunstein
9, rue de Montmorency – Paris 3e
Du mardi au samedi de 14H30 à 19H
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