Bernard Campan et Alexandre Jollien, réalisateurs de Presque : « On s’humanise grâce à l’Autre »
Le mercredi 26 janvier sort Presque réalisé et interprété par Bernard Campan et Alexandre Jollien. Les deux hommes se connaissent depuis plus de dix-huit ans et sont liés par une profonde amitié. Dans ce premier film, l’acteur-réalisateur et l’écrivain-philosophe ont glissé de nombreux clins d’œil personnels. Ils espèrent que cette rencontre entre un croque-mort et un livreur de légumes en situation de handicap passionné de philosophie saura toucher les cœurs. Et que leur film donnera envie d’aller à la rencontre de l’Autre.
Faire-Face.fr : Sur l’affiche du film, on peut lire en exergue cette citation d’Érasme : On ne naît pas homme, on le devient. Que signifie cette phrase pour vous ?
Alexandre Jollien : Qu’on s’humanise grâce à l’Autre, à la solidarité, aux rencontres. C’est un hymne à la vie. Il n’y a pas un destin tout tracé. On peut s’en sortir grâce aux autres. On se déconstruit, on désapprend pour se donner à la vie.
Bernard Campan : Je la rapprocherais du Deviens ce que tu es de Nietzsche. La vie est un cheminement. Rien n’est livré clé en main. C’est un lent processus d’accoucher de qui l’on est.
F-F.fr : Vous avez pris votre temps pour accoucher de Presque. Qui vous a décidé à vous lancer ?
B.C : Nous avions une amitié à découvrir, nous étions très fusionnels. Nous avions besoin de la nourrir avant de nous lancer. Presque est venu quelques années plus tard sous l’impulsion de Philippe Godeau, le producteur du film.
Une première expérience d’acteur pour Alexandre Jollien
F-F.fr : N’avez-vous pas craint de mettre en péril votre amitié ? Et au final, que retirez-vous de cette aventure ?
B.C : Il y a eu des moments difficiles, notamment dans la phase d’écriture du scénario. Nous avons connu des périodes d’incompréhension, voire de découragement. Le tournage n’a pas été simple non plus, du fait qu’Alexandre n’est pas acteur. Mais nous sommes parvenus à dépasser tout cela.
A.J : Nous pouvions être en désaccord en superficialité, mais en profondeur nous étions en communion. Notre fraternité, notre amour étaient intacts. De mon côté, j’ai découvert le travail d’équipe qu’est le cinéma à côté du travail d’écrivain forcément plus solitaire.
Igor nous lance un appel : “Qu’est-ce qu’on fait des gens qui vivent dans la marge ? Comment bâtir une société plus solidaire ?” »
F-F.fr : Beaucoup d’éléments biographiques ont, semble-t-il, nourri le personnage d’Igor. Outre l’amour de la philosophie, qu’avez-vous mis d’Alexandre ?
A.J : Bien sûr ! Mais il y aussi beaucoup de différences. Igor est désocialisé. Il n’a pas beaucoup d’amis, de famille, hormis sa mère. C’est une figure de la marginalité. Il nous lance un appel : « Qu’est-ce qu’on fait des gens qui vivent dans la marge ? Comment bâtir une société plus solidaire ? » Même si j’ai été un peu cet Igor quand j’étais étudiant.
Une scène d’amour bouleversante
F-F.fr : Et vous, Bernard, en quoi le personnage de Louis vous ressemble-t-il ?
B.C : J’ai une tendance au repli, à me renfermer sur moi-même. J’adore mes amis, ma famille. Je m’entoure de gens qui me rassurent. J’ai plutôt peur d’aller vers les autres. J’ai tendance à me protéger, à me créer une carapace.
F-F.fr : Quelle a été la scène la plus difficile à jouer pour vous, Alexandre ?
A.J : Rien n’a été facile [Rires !]. La scène d’amour a été vraiment bouleversante. Surtout que je me suis appliqué à être moi-même et à ne pas jouer.
B.C : Cette scène est casse-gueule sur le papier. Beaucoup de personnes n’y croyaient pas. Nous avons tourné avec une équipe vraiment réduite au strict minimum. Au final, il y a eu une seule prise. Et à mes yeux, c’est le pivot du film.
Toucher un cœur qui n’est pas encore dans les préjugés, c’est bouleversant. »
Convertir les regards
F-F.fr : Vous avez multiplié les rencontres et les avant-premières depuis plusieurs semaines. Quel est le plus beau retour que vous avez eu jusqu’à présent ?
A.J : Je pense à ce jeune enfant de 11 ans, l’âge de ma plus jeune fille. J’étais très ému de sa réaction enthousiaste. Si l’on peut espérer une société plus libre au niveau du jugement, cela passe par la relève de cette jeunesse. Toucher un cœur qui n’est pas encore dans les préjugés, c’est bouleversant.
B.C : Plus j’avançais dans le montage du film, plus je l’aimais. Mais le montrer en projections et voir les réactions, c’est vraiment quelque chose de très fort. Quand on aime un film, il faut lui faire confiance.
F-F.fr : Pensez-vous qu’un film puisse changer le regard que la société porte sur le handicap ?
A.J : J’espère que Presque convertira les regards, et conduira les gens à l’ouverture à l’Autre.
B.C : L’une des premières phrases que j’ai entendu dire par Alexandre quand je l’ai vu la première fois à la télévision c’est : « La philosophie m’a sauvé la peau. » Je pense qu’un film peut changer une vie. J’espère que Presque aura ce pouvoir.
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1 commentaire
Quelle bouffée d’oxygène pur en ces temps troubles et troublés ! Alexandre Jollien est un être exceptionnel et Bernard Campan dont le rôle dans « Se souvenir des belles choses » résonne encore en moi est quelqu’un de rare et précieux. Merci pour cette découverte