« Durant les jeux Paralympiques, j’ai le sentiment qu’on vit dans la société idéale qu’on veut construire »

Publié le 8 septembre 2024 par Florent Godard
Aurélie Aubert fête sa médaille d'or en boccia, au Club France, le 5 septembre. La première pour les Bleus dans cette discipline ouverte aux personnes ayant un lourd handicap. © Vincent Curutchet/KMSP/France Paralympique

Directeur des sports du Comité paralympique et sportif français, Jean Minier revient sur le chemin parcouru depuis 30 ans. Si l’amélioration de la médiatisation des Jeux est indéniable, elle met toujours beaucoup en avant des performances qui parlent aux spectateurs valides. Mais même s’il reste des progrès à faire, cette compétition constitue une « parenthèse enchantée ». Et une expérience  qui peut montrer la voie à suivre pour améliorer la société actuelle.

Jean Minier
Un des motifs de satisfaction pour Jean Minier ? Les primes accordées aux médailles paralympiques sont désormais alignées sur celles des sportifs valides. © CPSF

Faire-face.fr : Vos premiers Jeux remontent à 1992, à Barcelone, en tant qu’entraîneur de l’équipe de France d’athlétisme handisport. En jetant un coup d’œil dans le rétro, quel regard portez-vous sur le chemin parcouru jusqu’à Paris 2024 ?

Jean Minier : L’amélioration de la couverture médiatique est indéniable. En effet, vous aurez du mal à retrouver beaucoup d’images des Paralympiques de Barcelone. Rien à voir avec les retransmissions télé que l’on connaît aujourd’hui (Ndlr : France Télévisions retransmet pour la première fois l’intégralité des compétitions sur ses antennes et sa plateforme numérique).

Autre motif de satisfaction : les primes accordées aux médailles paralympiques sont désormais alignées sur celles des sportifs valides. Sans oublier l’apport des aides financières de l’État et de l’Agence nationale du sport, ou encore les systèmes pour que les sportifs aménagent leur temps de travail, qui ont vu le jour.

Mais surtout les conditions d’entraînement et de préparation des athlètes ont progressé… jusqu’à devenir aujourd’hui l’équivalent de celles des athlètes olympiques. Même s’il n’y a pas vraiment d’athlètes professionnels dans le monde paralympique. Notamment à cause du manque de ligues professionnelles et de sponsors pour les financer.

On a toujours tendance à mettre en avant les performances qui parlent aux personnes valides. »

F-f.fr : Que faut-il encore améliorer ?

J.M : Je constate qu’on a toujours tendance à mettre en avant les champions dont les performances parlent aux personnes valides.  Des performances qui sautent aux yeux, face auxquelles le spectateur se dit : « Je serais incapable de le faire. » Avec des corps sculptés… Un Timothée Adolphe qui va courir un 100 m en moins de 11 secondes, va interpeller tout le monde, par exemple. Tout comme un Alexis Hanquinquant, qui va courir jusqu’à 19 km/h avec une prothèse de tibia.

Bien entendu, ils méritent tous d’être mis en avant. Mais d’autres athlètes qui remportent des compétitions attirent moins les projecteurs car leurs performances sont moins parlantes pour le néophyte.

Un lancer de poids de 3 kg à  5 mètres avec ses seuls triceps, c’est une sacrée performance »

F-f.fr : Qu’entendez-vous plus exactement par des performances paralympiques « moins parlantes » pour le grand public ?

J.M : Prenez une lanceuse de poids de 3 kg qui réalise un jet à 5 mètres. Un téléspectateur lambda peut se dire : « N’importe quel collégien arrive à le faire…» Sauf que si elle n’a que ses triceps pour lancer (Ndlr : et pas d’abdominaux), c’est une sacrée performance ! Mais il faut des clés pour comprendre cela, ce qui suppose de prendre le temps de s’y intéresser.

Même si le geste paraît souvent moins esthétique, avec des mouvements parasites ou des tremblements, et des figures transformées par l’effort ou le handicap qui vont perturber un peu le téléspectateur, au final, la performance est tout aussi belle. Ces athlètes s’entraînent autant que des athlètes olympiques : ils ont aussi droit au chapitre dans le monde du sport.

N’oublions pas, d’ailleurs, que les jeux Paralympiques sont faits avant tout pour les handicaps les plus sévères au regard de la pratique sportive. Le défi reste donc d’arriver à mettre en avant la notion de “performance relative” et non de performance visible.

F-f.fr : Pourquoi est-ce important d’apprécier à leur juste valeur les performances des athlètes présentant un grand handicap ?

J.M : Cela a un impact sur la place qu’on va réserver à ces personnes dans notre société, d’une manière générale. Dans le monde du travail, par exemple, elles n’auront pas forcément les mêmes capacités d’expression non plus. Pour autant, si on veut leur laisser toute leur place, il faut accepter parfois que la façon dont ces salariés vont investir leur poste de travail ne sera pas comparable à ce qu’on connaît d’un collaborateur qui n’a pas de handicap. Acceptons ces personnes comme elles sont, dans leur singularité. Respectons donc leurs différences.

Les jeux Paralympiques, une expérience qui montre la voie à suivre »

 F-f.fr : Vous parlez des jeux Paralympiques comme d’uneparenthèse enchantée”. Qu’est-ce que cela signifie ?

J.M : Quand on vit au village paralympique pendant deux semaines, on s’aperçoit que tout est adapté aux besoins des athlètes, afin qu’ils puissent se concentrer sur leurs performances. On soigne l’accessibilité. Pour l’aide aux gestes du quotidien, il y a toujours quelqu’un à proximité. C’est notamment pour cela que je parle de parenthèse enchantée. Tandis que dans la vie ordinaire des personnes en situation de handicap, c’est souvent la croix et la bannière… Et les athlètes se sentent aussi respectés comme des champions à part entière.

Alors quand les jeux Paralympiques se terminent et que la vie de tous les jours reprend ses droits, j’ai ce petit sentiment qu’on vit dans la société idéale, telle qu’on voudrait et devrait la construire. Comme une expérience qui nous montre la voie à suivre.

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