Discriminée car handicapée : « Je n’attends pas de mon manager qu’il m’emmène aux toilettes ! »

Publié le 19 novembre 2024 par Franck Seuret
« Pour justifier son refus de m'embaucher, la personne qui m'avait reçue m'avait expliqué que ce n'était pas le rôle d'un manager de m'accompagner aux toilettes ! Comme si c'est ce que je t'attendais... » © DR
Bernadette Dumont-Jabberi ne pensait pas qu’elle devrait passer deux ans au chômage avant de retrouver un poste. © DR

Avant de retrouver un poste de cheffe de projet, Bernadette Dumont-Jabberi, qui se déplace en fauteuil roulant électrique, a passé plus d’une centaines d’entretiens infructueux. Cette cadre expérimentée estime que 70 % des refus étaient discriminatoires car imputables à « la peur d’embaucher quelqu’un en situation de handicap ».

« Le réveil a été brutal. » Après ses dix-huit années passées dans deux grands groupes, Accor et Bouygues Telecom, Bernadette Dumont-Jabberi avait « presque oublié » les discriminations subies par de nombreux travailleurs handicapés. Mais la réalité l’a vite rattrapée lorsqu’elle s’est retrouvée au chômage, après un licenciement économique post-covid, en 2022.

« Ma malformation congénitale faisait écran à mes compétences »

De brillantes études, de solides références, une longue expérience de cheffe de projet : cette Francilienne de 43 ans s’imaginait retrouver assez vite un nouveau poste de cadre. Ses candidatures débouchent d’ailleurs régulièrement sur des entretiens. Une centaine au total ! « C’est bien la preuve que j’apparaissais qualifiée pour le poste. Mais cela n’allait pas plus loin. Comme si quelque chose coinçait. »

Et ce quelque chose, elle en est convaincue, c’est son handicap. Un handicap bien visible. Bernadette Dumont-Jabberi est née avec une malformation congénitale des bras et des jambes et elle se déplace en fauteuil roulant. « Pour mes interlocuteurs, c’était trop. Cela faisait écran à mes compétences. »

« Depuis que je suis née, j’ai appris à faire avec toutes ces contraintes physiques »

Et de donner l’exemple d’une de ses expériences. Un premier entretien en visio qui se passe bien. Puis deux autres, toujours en visio, qui lui ouvrent la porte d’un quatrième, au siège cette fois. « Quand elles m’ont vu arriver, les deux personnes avec lesquelles j’avais rendez-vous se sont regardées. Et j’ai compris que c’était foutu. Elles n’arrivaient pas à dépasser mon handicap, qu’elles imaginaient comme un frein. »

Durant ces deux années de recherche, les employeurs lui objectent que les portes coupe-feu sont trop lourdes. Ou bien qu’il n’y a pas de toilettes accessibles à tous les étages. Quand bien même, pour Bernadette Dumont-Jabberi, par ailleurs maman de deux enfants, ces obstacles n’en sont pas. « Depuis que je suis née, j’ai appris à faire avec toutes ces contraintes physiques. »

« Les recruteurs projettent leurs propres représentations »

Le comble ? Ce mail négatif, suite à un énième entretien d’embauche. « Pour justifier son refus, la personne qui m’avait reçue m’expliquait que ce n’était pas le rôle d’un manager de m’accompagner aux toilettes ! Comme si c’est ce que je t’attendais. Cela montre bien à quel point les recruteurs projettent leurs craintes, leurs propres représentations. »

Il y a eu aussi les fausses justifications. Comme cette compétence que la candidate n’avait pas… mais qui n’était pas demandée sur la fiche de poste. Ou bien encore le silence radio, y compris après une étude de cas – un exercice de résolution d’une problématique en un temps imparti – pourtant réussie. Au final, Bernadette Dumont-Jabberi estime que seuls 30 % des refus qu’elle a essuyés reposaient sur des raisons objectives, les 70 % restants étant discriminatoires car imputables à « la peur d’embaucher quelqu’un en situation de handicap ».

« Derrière les beaux discours, les pratiques ne suivent pas »

« Beaucoup de grandes entreprises clament qu’elles sont inclusives, que la diversité est un atout. Or, souvent, derrière ces beaux discours, les pratiques ne suivent pas, ce n’est que de la communication, constate-t-elle amèrement. Mais il y a quand même des employeurs qui voient les compétences au lieu de se focaliser sur le handicap. La preuve, c’est que j’ai finalement été recrutée. Je suis aujourd’hui cheffe de projet transformation et gouvernance dans une entreprise de 3 000 salariés. »

APF France handicap veut faire de lutte contre les discriminations au travail une priorité nationale

À l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH), du 18 au 24 novembre, APF France handicap alerte sur les discriminations que subissent les personnes en situation de handicap dans le monde du travail. Des discriminations massives et systémiques, en dépit de l’arsenal législatif existant. Et de rappeler que près de 20 ans après la loi handicap de 2005, c’est toujours le handicap qui demeure le premier motif de saisine de la Défenseure des droits en matière de discriminations (21 %), devant l’origine (13 %) et l’état de santé (9 %), selon son rapport annuel 2023… et les précédents. Une situation particulièrement marquée dans le champ de l’emploi (16 % dans l’emploi privé, 21 % dans le public).

Dans son dossier “Emploi & Handicap : les discriminations perdurent… À quand l’égalité des chances ?”, APF France handicap dresse un état des lieux exhaustif et accablant. Elle plaide, au travers de nombreuses revendications, pour que la lutte contre les discriminations dans le monde du travail devienne enfin une priorité nationale.

Comment 2 commentaires

Bonjour je fais partie des personnes à handicap invisibles et je trouve que bien trop de patrons, drh et autres personnes pour qui tout va bien nous prennent pour de la merde, je suis gentil dans mon expression. J’ai travaillé au sein d’un esat en remplacement d’un encadrant espaces-verts où pour moi il était hors de question “monsieur ou chef, c’est François” et je trouve totalement logique de s’appeler par nos prénoms. Pour moi toutes les personnes qui se la pètent de trop, surtout les costards cravates méritent des claques, car EUX ont ce qu’on ne peut appeler un handicap,” l’imbécillité et le manque de RESPECT. C’est à cause de personnes comme ça que l’on galère à se retrouver un emploi.
Oui, je tiens à me retrouver un emploi comme beaucoup, même si je ne sais plus porter comme avant alors que je tiens à pouvoir me retrouver un emploi. On veut m’interdire de faire de la route mais pour transporter des moitié de bêtes tu peux,où est la logique. J’ai une formation en mécanique auto et espaces-verts, en transport logistique avec tous les permis à jour et fco à jour.
je suis ouvert à toute formation valorisante qui abouti à un emploi en vue de mon handicap.

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