AAH et complément de ressources : quand 4,39 € font perdre plus de 20 000 €

La Caisse d’allocations familiales ne verse plus le complément de ressources à Jean-Pierre. Elle considère en effet que son AAH différentielle n’est pas attribuée en appoint de sa pension d’invalidité mais des ressources de son couple. Il ne remplit donc plus l’une des conditions ouvrant droit au complément et l’a perdu pour les dix prochaines années. Un manque à gagner de 21 480 €.

Actualisation du 20 juin 2020 : La Caisse d’allocations familiales de Haute-Saône a reconnu qu’elle n’avait pas le droit de suspendre le complément de ressources d’un allocataire au motif que son AAH ne lui serait pas attribuée en appoint de sa pension d’invalidité mais des ressources de son couple. Elle appuie sa décision sur un arrêt de la cour d’appel de Rennes. Pour en savoir plus, consultez ce nouvel article de faire-face.fr.

Au début, Béatrice n’a pas compris. Début décembre, elle s’aperçoit que la Caisse d’allocations familiales (Caf) n’a pas versé le complément de ressources de son mari, pensionné d’invalidité. Cela ne peut qu’être une erreur, pense-t-elle. Leur situation n’a pas évolué. Et les droits de Jean-Pierre, titulaire de l’allocation adulte handicapé (AAH) en complément de sa pension d’invalidité, sont ouverts jusqu’en 2024.

« Votre AAH n’étant plus due en complément de la pension… »

Elle fait donc une réclamation. Quatre semaines plus tard, la réponse tombe. La Caf rappelle que le barème de l’AAH a été revalorisé le 1^er novembre 2019. Elle a donc logiquement recalculé les droits des allocataires. « Votre AAH n’étant plus due en complément de la pension, vous ne pouvez plus percevoir le complément de ressources », précise-t-elle. Quelques explications s’imposent.

Un pensionné d’invalidité a le droit de toucher l’AAH en complément de sa pension. Sous réserve bien évidemment que cette dernière soit inférieure au seuil de ressources ouvrant droit à l’allocation (900 € par mois). Pour déterminer le montant de l’AAH différentielle, la Caf procède de deux manières différentes.

Deux méthodes de calcul de l’AAH différentielle

Première méthode : elle additionne les ressources du conjoint à la pension. Applique les abattements habituels. Et soustrait ce montant au plafond applicable à un couple (1 629 €/mois). Dans le cas de Jean-Pierre, cela donne une AAH différentielle de 208 €. Appelons-la, l’AAH couple.

Seconde méthode : elle prend uniquement en compte la pension (687,61 €), sans aucun abattement. Et soustrait cette base au plafond applicable à une personne seule (900 € par mois). Dans le cas présent, elle obtient alors une AAH de 212,39 € (=900 – 687,61). Donnons lui le nom d’AAH pension.

La Caf retient le montant le moins élevé

Et quel montant retient-elle ? Le moins élevé, comme le préconise la circulaire n°37 du 6 octobre 1976. Donc 208 €, montant obtenu en tenant compte des ressources du conjoint (l’AAH couple). Or, jusqu’à présent, le montant le moins élevé, pour Jean-Pierre, était celui calculé sur la base de sa seule pension (l’AAH pension).

Un raisonnement cynique

Ce changement n’est pas neutre. Puisque, désormais, le mari de Béatrice reçoit une AAH calculée sur la base des ressources du couple et non de ses seuls revenus, la Caf considère qu’il ne touche plus une AAH en complément de sa pension. Et qu’il ne remplit donc plus l’une des conditions ouvrant droit au complément de ressources. À savoir, percevoir l’AAH à taux plein ou en complément d’une retraite, d’une pension d’invalidité ou d’une rente d’accident du travail. CQFD.

Le complément de ressources perdu pour toujours

Autrement dit, 4,39 € d’écart (entre 208 € et 212,39 €) lui font perdre 179 € par mois. Et cette perte est définitive. Le complément de ressources a en effet disparu le 1^er décembre 2019.

Sauf pour ceux qui le touchaient à cette date. Eux y auront encore droit pendant dix années sous réserve de continuer à remplir les conditions d’éligibilité. Et comme Faire-face.fr l’a expliqué dans un précédent article, s’ils le perdent, ne serait-ce qu’un mois, ils ne pourront plus le récupérer.

Un préjudice de 21 480 €

Donc Jean-Pierre ne pourra plus jamais toucher le complément de ressources. Même si, à la faveur d’un nouveau examen de ses droits (les ressources de sa compagne changent, par exemple), il retrouve une AAH en complément de sa pension et non plus une AAH couple.

Au final, ce petit écart de 4,39 € va donc lui faire perdre douze mensualités du complément de ressources pendant dix années. Soit 21 480 €. Une véritable injustice.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Quand la Caf prend des libertés avec le droit

La décision de la Caf est-elle fondée ? Non, selon Linda Aouar, conseillère affaires juridiques d’APF France handicap. Elle conteste d’abord le choix des Caisses de retenir le montant d’AAH différentielle le moins élevé. « Je n’ai trouvé aucune trace de fondement légal ou réglementaire à la circulaire de 1976 sur laquelle elles s’appuient », souligne-t-elle.

Et la suppression du complément de ressources au motif que Jean-Pierre touche une AAH couple plutôt qu’une AAH pension ? « C’est contraire à la jurisprudence en la matière », insiste Linda Aouar. La conseillère a exhumé un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 19 décembre 2012. « Mme C. est bénéficiaire d’une AAH qui vient en complément du montant de sa pension d’invalidité, sans que le fait qu’elle perçoive une AAH réduite en raison de ses ressources ne puisse être retenu pour écarter le droit à complément de ressources », notent les magistrats.

Sur la base de ces arguments, le président d’APF France handicap vient de demander à la Caisse nationale d’allocations familiales de restaurer dans leurs droits les personnes lésées. Comme Jean-Pierre.